Une forêt en cadeau

Ils sont cinq. Cinq chevaux avec leurs cavaliers à affronter les tourbillons de neige, en ce mois de novembre 937. Trois palefreniers à dos de mulets et six bêtes de somme les accompagnent. Au milieu de cette petite troupe, une reine. Berthe. La « bonne Reine Berthe », dira la légende près d’un millénaire plus tard. Les montures avancent au pas. En à peine une demi-heure, le sol s’est recouvert d’une bonne couche de neige. Le ciel s’est obscurci et, alors que la matinée est loin d’être terminée, il fait presque nuit. Les cavaliers ferment leurs yeux à moitié, gênés par les flocons en colère. Ils n’aperçoivent pas encore la forêt à une centaine de mètres d’eux. Celle qui leur permettra de se protéger des bourrasques et d’attendre que la tempête se calme un peu.

Emmitouflée dans son long manteau de fourrure, Berthe reste droite sur son cheval, se cramponne à sa dignité, à son courage. Bien qu’elle n’ait jamais eu à exercer de pouvoir jusqu’à présent, elle n’en est pas moins la reine de Haute-Bourgogne. Des larmes de glace se figent sous ses paupières. Une souveraine ne doit pas pleurer.

Pourtant, les raisons ne lui manquent pas, en plus du froid glacial et de la neige. D’abord, la mort du père de ses trois enfants, Rodolphe II, roi de Bourgogne, quelques mois plus tôt. Son tout récent mariage avec Hugues d’Arles, roi d’Italie, qu’elle n’apprécie guère. Un coureur de jupons qui ne s’intéresse à elle que pour son titre et ses terres, sur lesquelles il règne déjà. Elle n’est qu’un pion sur l’échiquier politique. Elle le sait.

Le Pays de Vaud, qui fait partie du Royaume de Bourgogne, souffre des nombreuses razzias de Hongrois et de Sarrasins. Berthe n’a pas eu d’autres choix que de s’allier à Hugues en l’épousant en secondes noces. Pour elle, c’est une sécurité. Pour lui, c’est une aubaine. Pour renforcer son emprise sur le royaume, il a fiancé Adélaïde, fille de Berthe et de Rodolphe II, à son propre fils Lothaire. Le jour même de son propre mariage à Colombier.

À présent, elle chevauche avec quatre chevaliers. Elle va assister à un autre mariage à Genève. Celui d’un de ses neveux. Hugues n’est pas là, préférant la compagnie de ses concubines. Aucun de ses trois enfants non plus. Ils sont restés dans leur château de Colombier.

La troupe pénètre enfin dans la forêt qui relie Bougy-Villars à Féchy. À l’abri des arbres, les membres du groupe s’apprêtent à mettre pied à terre pour souffler un peu, quand trois cavaliers à la mine patibulaire surgissent, leur barrant le chemin. Ils les menacent, exigent l’or et les bijoux, tous leurs biens. Le cheval de Berthe affolé se cabre. La reine s’agrippe à la crinière. Elle ne leur cédera pas. De toute façon, ils ne se contenteraient pas de les dépouiller. Elle fait demi-tour et s’enfuit par un chemin de traverse suivie de deux de ses compagnons, tandis que les autres hommes de sa suite font face aux brigands. Surtout ne pas retourner à découvert. Elle n’aurait aucune chance contre eux.

Couchée sur l’encolure de son cheval, Berthe galope à travers la forêt. Tente tant bien que mal de se protéger des branches qui ralentissent sa chevauchée. Les deux chevaliers ne sont plus seuls à caracoler derrière elle. Ils tentent de faire diversion, se séparent à un embranchement, espérant ainsi entraîner les bandits loin de leur reine. En vain. Les malfrats ne se laissent pas berner et se lancent à la poursuite de Berthe, devinant qu’il s’agit d’une personnalité importante.

La jeune femme entend les brigands se rapprocher. Elle perçoit le souffle de leurs chevaux. Entend les battements de son propre cœur qui se cognent contre les troncs des arbres transis, à contretemps des galops de ses poursuivants. Berthe sait ce qui l’attend, songe à ses enfants qu’elle ne verra pas grandir.

Non loin de là, plusieurs bûcherons frappent de leur hache les troncs couchés des arbres qu’ils ont abattus. Le long du chemin, les bûches s’entassent en vrac. L’hiver est particulièrement rude cette année. La température est descendue plusieurs fois au-dessous de zéro degré. Les villageois ont besoin de plus de bois que d’habitude pour chauffer leur maison. Les bûcherons ne chôment pas.

Il leur faut absolument terminer de débiter les arbres qu’ils ont abattus, avant que la neige les recouvre totalement. Ils sont sortis à l’aube pour faire le travail. À la lisière, plusieurs paysans vérifient l’état de leurs champs.

Lorsqu’ils entendent le bruit des cavalcades, puis les éclats de voix, ils se précipitent. Les uns avec leurs haches, les autres avec leurs fourches. Au moment où les bandits s’apprêtent à attraper Berthe, les bûcherons surgissent devant leurs chevaux qui se cabrent et désarçonnent leurs cavaliers.

Les brigands sortent des couteaux de leurs vêtements. Mais ils ne font pas le poids face aux armes improvisées de leurs adversaires. Ils renoncent à leur projet et s’enfuient à pied, leur monture ayant disparu.

Lorsque Berthe de Bourgogne réalise que ses poursuivants ne sont plus à ses trousses, elle rebrousse chemin. Elle découvre alors les bûcherons et les paysans en grande conversation avec ses palefreniers sains et saufs. Reconnaissante, la reine Berthe offre une jarre remplie d’or aux premiers et une forêt aux seconds. Elle renonce à se rendre au mariage de son neveu et passe quelques heures dans le village de ceux qui l’ont sauvée.

Elle préfère la simplicité au faste des grands. À défaut de régner véritablement, elle décide de consacrer sa vie à aider autrui et à faire don de sa fortune. Elle ne sait pas encore qu’au XIXe siècle, elle deviendra le symbole du tout nouveau canton de Vaud, qu’elle sera un modèle de vertu pour les jeunes filles et fera l’objet de nombreuses légendes.

Fin d’un cycle

Après un an et demi, me voilà au terme de ma formation intensive d’écrivain à Esprit Livre. Je suis en train de préparer le recueil des nouvelles que j’ai écrites dans ce cadre, au rythme de deux par mois. Cette formation a été très enrichissante et m’a permis d’améliorer aussi bien mon style que la conception de mes histoires.

L’année dernière, une de mes nouvelles a été sélectionnées et a été publiée dans le recueil n° 2 intitulé 6000 signes espaces compris des meilleures nouvelles publiées dans le cadre de la formation d’Esprit Livre. Il s’agit de la nouvelle « Partie sans laisser d’adresse » relatant la disparition de ma mère dans un autre monde. Ce recueil peut être acheté sur Amazon sous format papier ou Kindle.

Cette année encore, deux de mes nouvelles ont été retenues pour faire partie du recueil n°3. Vous en saurez d’avantage dans un prochain article.

A présent, je vais entamer un nouveau cycle et m’engager dans la formation d’animatrice d’atelier d’écriture et je m’en réjouis.

Les ailes, ça compte?

Dans la salle d’attente de la vétérinaire comportementaliste, Agathe la poule, coincée dans sa cage, glousse, nerveuse, tandis qu’Elliot, le chien, aboie contre elle.

Elliot : T’as rien à faire là, espèce de volatile ! Regarde l’écriteau. Tu sais pas lire ?

Agathe : N… n… n…on. C’…c…c’est écrit quoi ?

Elliot : Aux amis des quatre pattes ! C’est un vétérinaire pour ceux qui ont quatre pattes et qui aiment les animaux à quatre pattes. Quatre ! Tu comprends ? Et toi, t’en as combien ? Hein ? Hein ? Mais j’parie que tu sais pas compter non plus… Evidemment, t’es trop bête. Les poules, ça a un pt’it cerveau.

Agathe : C’est pas vrai. Ma maîtresse, elle dit que j’suis zintelligente. Très.

Elliot : Elle dit ça pour te faire plaisir.

Agathe : Et pis, je sais compter jusqu’à cinq.

Elliot : Alors, alors t’as combien de pattes ? Dis pour voir…

Agathe : J’ai d… d… deux pattes. Mais j’ai aussi deux ailes. Alors ça fait quatre.

Elliot : Ça compte pas, les ailes.

Agathe : P…p…pourquoi ?

Elliot : Parce que c’est pas des pattes. C’est tout. Alors fous le camp.

Agathe : Mais ma maîtresse…

Elliot : On s’en fiche. Elle sait pas lire non plus !

Agathe : Peux pas partir.

Elliot : Pourquoi ?

Agathe : J’suis dans une cage.

Elliot (plus calme) : Ouais… t’as une bonne excuse. Mais tout de même. Tu devrais pas être là.

Après un moment de silence.

Agathe : Fais chaud. Ça manque d’air. Moi, je vis dehors. J’ai pas l’habitude de cette chaleur. Z’ont même pas ouvert la fenêtre. Elle est trop petite cette salle d’attente. Tu trouves pas ?

Elliot : Possible. En plus, je me retrouve avec toi à attendre. Une poule ! C’est la honte. Si t’étais pas enfermée, je ferais de toi mon petit déjeuner. Mon maître m’a rien donné avant de partir. J’ai faim…

Agathe : T… t… t…tu ferais pas ça… Hein ?

Elliot : Wouaif… De toute façon, t’es trop petite.

Agathe : Je suis une poule soie. Les zhumains, ils zadorent les poules soies. On est belles, douces. T’es là pourquoi ? T’…t… t’as mangé une p… p… poule ?

Elliot : Non. Et toi ?

Agathe : Moi ! Je mange pas des poules… je mange des graines.

Elliot (un peu hargneux): T’es vraiment trop bête. Je te demande pas si tu manges des poules ! Je te demande pourquoi t’es là.

Agathe : A cause de Saturnin, le canard. Y me sautait dessus et me rachait les plumes du cou. Ma maîtresse dit que je suis romatisée.

Elliot : Romatisée ?

Agathe : Je ponds plus d’œufs. C’est ça qu’elle a dit, ma maîtresse. Parce que je suis romatisée.

Elliot : Tu ponds des œufs, toi ?

Agathe : Bin, j’suis une poule. Mais moi je sais plus pondre. Et toi ?

Elliot : Moi, j’ai jamais pondu d’œufs.

Agathe : Bin c’est normal, t’es un chien.

Elliot : Wouaif. Évidemment. Mais c’est pas juste.

Agathe : Tu voudrais pondre des œufs, toi ?

Elliot : Non.

Agathe : Alors, c’est pas un problème.

Comme Elliot ne répond pas, Agathe revient à la charge.

Agathe : T’es là pourquoi ?

Elliot (avec un sursaut d’agressivité) : C’est pas tes oignons.

Agathe : Je…je…voulais pas te zé…zénerver.

Elliot : Mon maître, il dit que je suis agressif. J’aboie trop.

Agathe : Pourquoi ? T’es toujours fâché ?

Elliot : Non. Il dit que je suis traumatisé.

Agathe : Romatisé ? Comme moi, comme moi… Sauf que toi, toi, personne te demande de pondre.

Elliot : Wouaif, mais j’ai peur de tout. Alors j’aboie pour faire fuir les gens. J’étais enfermé dans un enclos quand j’étais petit. C’est pour ça que je suis traumatisé. Je vivais avec d’autres chiens. J’avais pas de maître.

Agathe : Mais toi, toi, t’es grand. C’est toi qui fais peur ! Moi, j’suis petite et je fais peur à personne.

Elliot : Je fais peur, moi ?

Agathe : Évidemment ! T’as vu comme t’es fort ? Et pis t’as quatre pattes, t’es l’ami du vétérinaire et de tout le monde. Pas moi.

Elliot : Tu sais, les pattes… finalement, c’est pas si important.

Agathe : Alors, alors, tu crois que ça compte quand-même les ailes ?

Elliot : Bien sûr !

La porte du cabinet de la vétérinaire comportementaliste s’entrouvre, Elliot se met à aboyer en reculant, puis se cache derrière la cage de la poule qui glousse.

La vétérinaire fait entrer la maîtresse d’Agathe avec la cage. Elliot se précipite derrière eux en entraînant son maître.

Vétérinaire : Curieux. On dirait que la poule et le chien sont devenus amis. Cela vous dérangerait de faire cette séance tous les cinq ?

A la recherche de l’oeuf perdu

– Grand-père, raconte-moi une enquête que tu ne m’as jamais racontée.

Watson regarde son adolescent de petit-fils et repense à la plus singulière et la plus étrange qu’il ait menée avec son ami Sherlock Holmes. Il ne l’a jamais racontée à personne. Et pour cause, Watson en avait honte.

– Je te les ai toutes déjà racontées plusieurs fois…

Watson Junior fixe un moment son grand-père, avant de rétorquer :

– Je ne te crois pas. Ton regard et tes mains…

– C’est bon, je capitule, interrompt vivement Watson.

Son petit-fils connaît toutes les techniques de Sherlock Holmes, et sa capacité d’analyse exceptionnelle exaspère Watson. « Un jour de calme plat, on a frappé à la porte. Quand j’ai ouvert, il n’y avait personne. Juste un canard aux plumes vert turquoise. Il me fixait de son regard rond et insistant qui me mit mal à l’aise. J’allais refermer, quand il s’est mis à parler. »

– Arrête, grand-père, j’ai plus l’âge des contes de fées, s’exclame Watson Junior.

– C’est exactement ce que Sherlock Holmes m’a dit. Je n’ai donc pas insisté. De toute façon, sa requête était farfelue. Seulement, le lendemain, le colvert est revenu et mon ami l’a entendu, lui aussi. Contre toute attente, Sherlock Holmes a décidé d’aider Bob le canard.

– Mais qu’est-ce qu’il voulait ?

– Il voulait qu’on retrouve un des œufs pondus par sa compagne.

– C’est n’importe quoi.

« Sherlock Holmes n’avait rien à faire et il voulait absolument savoir d’où venait ce canard. Le voyage pour parvenir dans son pays a duré plusieurs jours. Je me suis souvent demandé, depuis lors, comment Bob nous avait trouvés et qui lui avait parlé de Sherlock Holmes. Je n’ai jamais obtenu de réponse à cette question. Le colvert vivait à la frontière du pays de Cocagne, dans une cabane fabriquée en saucissons de volaille. »

– Et tu penses que je vais te croire ? intervient Watson Junior.

– J’arrête de raconter, si tu veux.

– C’est amusant.

« Quand on est arrivés, on n’a pas tout de suite compris qu’il s’agissait du pays de Cocagne. La cane Aglaé, qui savait compter jusqu’à 10 et était particulièrement anxieuse, vérifiait plusieurs fois par jour le nombre des œufs qu’elle couvait. C’est comme ça qu’elle a découvert, un matin, qu’il en manquait un. On le lui avait volé pendant qu’elle était allée faire sa toilette dans la mare. Il n’était pas rare qu’œufs et poussins disparaissent, dans ce pays-là. En général, on les croisait, quelques jours plus tard, gambadant, déplumés et rôtis, sur les routes pavées d’omelettes aux truffes. Le voleur avait laissé une trace de chaussure, près de la cabane, dont l’empreinte était blanchâtre.

– Du fromage blanc, décréta Sherlock Holmes, après avoir y avoir goûté. Il suffit d’en trouver l’origine.

« Nous avons laissé le couple et sommes partis à la recherche de l’œuf perdu. En réalité, cette enquête n’intéressait pas mon ami. Ce qui le fascinait, c’était ce lieu extraordinaire aux ponts fabriqués en sucre d’orge qui surplombaient des rivières de vin rouge. Les champs de pâtisseries multicolores, les volailles rôties qui gambadaient et que l’on croisait sur notre route, les maisons de pains d’épice et les pluies intermittentes de victuailles. Ou encore les personnes qui se baignaient dans un lac et en ressortaient rajeunies. Sherlock Holmes s’extasiait sur ce pays magique, où il suffisait de tendre la main pour se sustenter et de se baigner pour ne plus vieillir.

« Nous avons fini par arriver au pied d’un volcan recouvert de fromage blanc, sur les pentes duquel coulait une lave de coulis de framboise. Dans la paroi se trouvait une porte en bois de caramel durci.

– Le kidnappeur est venu de là, affirma Sherlock Holmes en me montrant sur le sol la trace d’une chaussure.

« Comme la montagne était de fromage blanc, nous n’eûmes aucun mal à creuser, juste à côté de la porte fermée à clé, et à nous glisser à l’intérieur. Nous avons marché le long d’un couloir sombre pendant cinq minutes avant de parvenir au cœur du volcan. Nous y découvrîmes une activité surprenante.

« L’espace gigantesque était divisé en quatre zones. Dans la première étaient stockées des tonnes d’aliments de toutes sortes. Dans la deuxième se trouvaient une armée de cuisiniers aux fourneaux, dans la troisième, des magiciens redonnant vie à certains aliments apprêtés, comme les volailles ou les œufs à la coque, et dans la quatrième, un labyrinthe de tapis roulants et de tuyaux débouchant à l’extérieur.

– Voyez, me dit mon ami. C’est ici que tout est fabriqué. Ces tuyaux, par exemple, servent à projeter les aliments sous forme de pluie.

« Nous déambulions à travers cette usine surprenante, sans être inquiétés. Sherlock Holmes s’intéressait à tout, goûtait à la plupart des plats. Quand nous sommes passés devant plusieurs tas d’œufs, il me dit:

– L’œuf volé a sans aucun doute fait escale par ici, mais cela fait bien longtemps qu’il a été mangé.

– Comment le savez-vous ?

– C’est évident, mon cher Watson. Bob est venu nous chercher il y a plusieurs jours de cela. Étant donné la vitesse à laquelle ces œufs sont apprêtés, il va de soi qu’il a déjà été mangé.

– Qu’allons-nous dire à la cane ? ai-je demandé.

« Pour mon ami, la cause était entendue : il fallait communiquer le résultat de l’enquête au couple de canards. Quant à moi, je ne m’en sentais pas le courage. Je songeais que tous les œufs se ressemblaient. Aglaé n’y verrait rien, si j’en choisissais un à l’insu de Sherlock Holmes. Quand nous sommes arrivés, j’ai empêché mon ami de parler et j’ai remis l’œuf à la cane. Elle a eu l’air surprise. Autour d’elle, de jolis poussins jaunes avaient déjà cassé la coquille de leurs œufs. Sherlock Holmes a tout de suite compris que j’avais rapporté un œuf de cygne. Nous nous sommes enfuis, avant que la cane découvre la tête de son petit dernier. »

– Tu crois que je vais gober cette histoire ? s’exclame l’adolescent.

– Pourtant, elle est véridique.

– Il est clamsé, Sherlock. Il pourra pas dire le contraire.

– Parce que tu crois vraiment qu’il est mort ? rétorque le grand-père en lui faisant un clin d’œil.

La belle impatiente aux muscles d’acier

– Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?

Je ne vois que le soleil qui poudroie et l’herbe qui… Ah, non ! Que vois-je… Un coursier à cheval, au loin. Il s’arrête. Vite dépêchez-vous, il tient un pli entre ses mains. De votre fiancé, pour sûr.

Pénélope et sa longue chevelure déployée caracolent dans les couloirs du château, dévalent les escaliers interminables, elles courent, comme cette phrase impatiente qui voudrait ne pas se terminer, ivre d’elle-même et de ses mots cascadant le long de la page. Un an, que la jeune princesse attendait la lettre de son bien-aimé parti à la guerre. Un an que sa sœur répète la même phrase, qui semble sortie d’un conte, et qu’elle ne supporte plus d’entendre.

Elle arrache le courrier des mains du coursier, qui paraît effrayé en l’apercevant. Mais elle n’en a cure et lui tourne le dos pour aller lire cette lettre tant attendue, dans l’intimité. Quand elle en termine la lecture, sa décision est prise. Elle ira rejoindre son bien-aimé.

Elle se souvient avec précision du jour où elle a rencontré son petit prince. Un véritable conte de fées. Un nain, avait dit son père. Un nain ? avait rétorqué Pénélope, presqu’en larmes.

« Tu es si grande, et lui… si… minuscule. » Que lui importait à Pénélope que Philippe soit beaucoup plus frêle qu’elle. Elle l’aimait éperdument. Son père avait été inflexible et avait décrété : « Tu ne peux épouser un homme si petit. » Elle avait pleuré, pleuré, pleuré… (une fois aurait suffi, mais son désespoir était si grand que la répétition se justifie ici). Ses larmes avaient rempli les douves. Elle s’était arrêtée juste avant qu’elles débordent. Depuis, des requins s’y étaient installés. Nul ne savait comment.

Pénélope avait prévu de s’enfuir avec son prince. Ils auraient couru ensemble dans la forêt, elle l’aurait protégé des loups et des brigands, ils se seraient mariés en dépit de ses parents. Mais la guerre les avait rattrapés. Philippe devait suivre son maître partant guerroyer pour le roi. Les parents de Pénélope étaient tellement contents d’en être enfin débarrassés, qu’ils avaient explosé en mille miettes de leurs rires sardoniques.

Juste avant de partir, Philippe, devenu chevalier grâce à Pénélope, lui avait fait promettre de défendre le château. Car à présent, c’était aussi le sien, comme l’avait décrété sa bien-aimée. Les miettes de ses parents ne comptaient pas, pas plus d’ailleurs qu’Anne, appelée sa sœur, mais qui n’était que sa servante.

Durant quatre ans, son fiancé lui avait écrit sa tendresse, célébrant ces mignons petons qui dépassaient parfois de sa longue robe. Elle n’osait lui répondre tous les fantasmes qui lui traversaient l’esprit. Car cela n’était pas digne d’une princesse aux longs cheveux d’or. Durant la dernière année, plus aucune lettre ne lui était parvenue. Anne était devenue sa sœur, regardant le soleil et la plaine qui rougeoyaient et poudroyaient.

Pénélope avait tenu sa promesse et défendu le château. Il lui suffisait d’apparaître pour faire fuir quiconque s’y aventurait. Jour après jour, semaine après semaine, mois après… bref, des heures durant, elle s’était entraînée dans les sous-sols de la forteresse. Elle avait même inventé des machines pour fortifier ses muscles. Un jour, un chevalier, nommé Ulysse, imaginant la princesse, éplorée, assise à la fenêtre, une broderie sur les genoux, s’était arrêté pour lui offrir son cœur et sa protection. Il en était reparti tout penaud, en songeant qu’une telle femme n’avait pas besoin d’être protégée.

– Anne, prépare-moi un fier destrier. Je vais rejoindre mon mari.

– Mais, ce n’est pas votre…

– Qu’importe ! Il le deviendra.

La servante, déchue instantanément de son statut de sœur, s’empresse vers les écuries, d’où elle tire un animal misérable et affamé. Pénélope court, cheveux au vent, le cœur en fête, elle va rejoindre son petit prince, l’arracher aux griffes de celui qui le retient. Elle saute sur le dos de l’étalon… qui s’écroule sous son poids.

– Est-ce là mon fier destrier ?

– Nous n’en avons point d’autre.

Après une courte réflexion, la belle charge le cheval sur ses épaules et s’en va galoper à travers monts et vaux, laissant Anne, perplexe et un peu désorientée. Qui va donc lui donner la réplique, à présent ?

Pénélope croise plusieurs paysans à qui elle demande invariablement :

– Savez-vous où je puis trouver mon petit prince – soldat ?

– Inconnu, répondent-ils tous.

La belle aux muscles d’acier finit par arriver près d’une rivière. Un homme avec sa barque patiente sur la rive.

– Savez-vous où je puis trouver mon petit prince-soldat ?

– Peut-être de l’autre côté. Voulez-vous que je vous fasse passer, vous et votre fier destrier ?

– Je me débrouillerai seule.

Pénélope s’élance dans l’eau, tapant des pieds et d’une main, avec son cheval qu’elle tient de l’autre au-dessus de sa tête. La princesse parvient rapidement de l’autre côté. Il fait sombre, des ombres passent à travers les arbres, mais s’écartent sur son passage. Elle sait qu’elle touche au but, quand elle entend des aboiements terrifiants qui auraient pu la faire frémir.

Devant l’entrée d’une vaste grotte, un chien gigantesque à trois têtes rugissantes. Pénélope n’hésite pas un instant. Son petit prince est là. Elle en est certaine. Elle avance d’un pas sûr. Guerrier. Cerbère l’aperçoit, ses têtes aboient encore un peu pour la forme, puis il s’enfuit devant cette apparition, dont il ne sait pas ce que c’est. Monstre de muscles surmonté d’un corps et d’une tête de cheval.

– Philippe, mon aimé. Où es-tu ?

Une silhouette chétive apparait dans la pénombre. C’est son petit prince. Pénélope pose son cheval à terre, s’empare de son fiancé, le serre – un peu fort – contre elle, puis le pose sur l’animal, heureux de retrouver le sol et d’avoir un cavalier à sa mesure.

– Comme tu es forte, ma douce, murmure Philippe, admiratif.

– C’est parce que je t’ai attendu toutes ces années, rétorque la belle, qui songe à tous les fantasmes qu’elle va enfin pouvoir réaliser.

Une luciole ne peut pas s’apprivoiser

Assis à la table de sa cuisine, l’Ecrivain procrastine. Se prépare un café. Pour se réveiller ou tout au moins, éveiller les contes qui sommeillent en lui. Debout, près de la machine qui chauffe, il regarde avec colère cet ordinateur qui refuse d’exprimer ses idées. Il boit son breuvage d’une traite. Au fond de la tasse, le marc laisse des traces. Il essaie d’y lire de futures histoires. Insaisissables. Découragé, il finit par choisir la fuite. Enfile son manteau, songeant qu’une promenade en forêt lui fera du bien.

Il marche quelques centaines de mètres puis s’assied au pied d’un chêne. Immense. L’automne laisse passer quelques rayons de soleil à travers ses branches bientôt nues. Si seulement… si seulement il savait prier. Si seulement il croyait en une magie unique, universelle qui tisserait pour lui le fil de ses histoires. Sans effort.

L’Ecrivain ferme ses yeux un instant. Quand il les rouvre il fait nuit. Un peu frais. Il s’apprête à se lever, lorsqu’il l’aperçoit. Juste devant lui. Comme un œil unique ouvert sur d’infinies possibilités. Une lueur vert clair dansant dans la nuit.

Luciole.

Son cœur grandit, son intériorité s’ouvre à de nouveaux espaces. Désespoir d’écriture se mue en des espoirs, porteurs d’histoires inconnues et fabuleuses. Eclairé par cette lueur intermittente et balbutiante, mais ô combien magique, il oublie où il est, qui il est. Son âme danse au rythme de ce métronome vivant. Hors de l’espace et du temps. Puis soudain, la luciole laisse échapper une sorte de pelote lumineuse, qui explose en un feu d’artifice de fils multicolores, s’accrochant aux buissons et aux arbres. Puis elle disparait. Intrigué, l’Ecrivain se lève, s’approche de cette toile tissée de phosphorescences délicates. Il effleure, du bout des doigts, les fibres qui voyagent d’un buisson à l’autre, dessinant des lutins et des fées au milieu des bois. L’aube d’une histoire se lève en lui, tandis qu’il s’approprie les personnages. Merci pour ce merveilleux cadeau.

L’Ecrivain rentre chez lui précipitamment, portant en son cœur la genèse de son roman. Il frappe les touches de son clavier dans l’obscurité. Il écrit sans s’arrêter. Plus besoin de café. Plus besoin de lire dans son marc. Merci Luciole. Je te reviendrai. Il frappe les touches avec plus ou moins de délicatesse. Il écrit, heure après heure, jour après jour. Met un point final à son récit. Heureux.

L’histoire est étrange. Décousue. Lumineuse, par intermittence, comme la luciole.

Quelques  semaines plus tard, l’Ecrivain retourne vers l’arbre centenaire, espérant revoir la luciole. Orphelin d’inspiration. Plus de café, plus de marc. Il ferme les yeux un instant. Les rouvre. Elle est là et pond une nouvelle pelote lumineuse que l’Ecrivain lance en l’air, pour découvrir les ingrédients et les personnages d’une nouvelle histoire, dont des bribes patientent en lui. Luciole, ô ma tendre luciole, viens avec moi. Chez moi. Je me languis de toi.

Mais la luciole éclaire la forêt comme elle veut, où elle veut. Par moments.

Impatient, l’Ecrivain la guette. Caché dans son dos, un filet à papillon. Il l’attend. Il a besoin d’elle. De ses chemins lumineux, de ses personnages cachés, révélés dans les buissons. Elle s’illumine, s’éteint. L’Ecrivain la repère, finit par deviner où elle va réapparaitre. Il est prêt. Quand la luciole, joyeuse, s’illumine, il abat brusquement son piège sur elle. Elle ne se débat pas, se laisse enfermer dans la lanterne sans bougie, qu’il a apportée avec lui.

Satisfait, heureux, l’Ecrivain rentre chez lui. La luciole et tous ses trésors lui appartiennent.

Désormais, tous les soirs, il ouvre la porte de la lanterne pour se saisir du cadeau de l’insecte, pour le projeter dans les airs… Les fils multicolores s’accrochent aux parois, au plafond et aux objets de son petit appartement, créant une toile, réveillant ses histoires endormies et balbutiantes. Des mots et des personnages surgissent et l’Ecrivain leur donne vie. Ses doigts courent sur le clavier de son ordinateur. Lumineux d’inspiration.

En quelques semaines, l’appartement ressemble à une gigantesque toile d’araignée. Car la luciole engendre de plus en plus de pelotes, qui s’éparpillent dans les pièces, s’accrochant à tout. Les personnages et les situations se multiplient de plus en plus rapidement. L’Ecrivain ne parvient plus à suivre les suggestions de la luciole. Son cerveau s’emballe. Ses fictions s’emmêlent, deviennent folles. L’Ecrivain peine à se mouvoir au cœur de la trame. Il retourne vers la luciole toujours enfermée dans la lanterne. Il la supplie de ralentir le rythme. Mais elle n’entend rien et réussit à projeter ses pelotes à travers les interstices de la lanterne. Elle a perdu son bonheur de vivre. Elle se résout à produire, produire, sans joie, sans conviction.

Après quelques jours, l’Ecrivain étouffe, étouffe dans son univers fictionnel. Luciole, ô ma chère luciole que te faut-il pour redevenir celle que tu étais ? La luciole clignote lentement. Tristement. Une luciole ne peut pas s’apprivoiser. Résigné, l’Ecrivain se saisit de la lanterne et va dans la forêt pour libérer la luciole.

C’est de votre faute, après tout

Tout a commencé par une ombre qui, pendant un instant, a obscurci l’écran de mon ordinateur, encore vierge d’écriture. Je me suis retournée. Il n’y avait personne derrière moi. J’ai ri toute seule de mon imagination qui pourtant me faisait défaut ce jour-là. J’avais une bonne dizaine de documents ouverts, avec des débuts d’histoires qui ne m’inspiraient pas.

Nouvelle ombre sur mon écran. Souffle glacial dans ma nuque. Conclusion : l’ombre était réelle. Elle s’est brusquement dressée derrière moi, comme pour regarder par-dessus mon épaule. J’ai sursauté. Réfléchi un instant. D’habitude, les ombres restaient collées au sol ou sur les murs. Était-ce normal que celle-ci se dressât dans les airs ? J’ai décidé que non et me suis autorisée à crier. L’ombre a fait un bond en arrière, a trébuché et s’est enfuie. De quoi avait-elle peur ?

Le lendemain matin, un policier a sonné à ma porte. En le voyant, j’ai failli éclater de rire. Mégot de cigarette coincé entre les lèvres, bouteille de vodka dépassant de la poche de son pardessus, il ne paraissait pas très sérieux. Une véritable caricature. Il me faudrait le réutiliser dans une de mes histoires.

  • Vous êtes coupable. Veuillez me suivre.
  • Pardon ?
  • J’ai dit: vous êtes coupable, veuillez me suivre.
  • On ne peut être coupable de quelque chose sans avoir été jugé, rétorquai-je. Et d’abord, de quoi m’accusez-vous ? J’ai toujours respecté les lois.
  • Abandon de personnages et bien d’autres choses encore.

J’ai regardé derrière le bonhomme.

  • Elle est où la caméra ?
  • La caméra ?
  • Oui, elle est quelque part. C’est un gag.
  • C’est très sérieux. Peut-être « coupable » n’est pas le mot. C’est de votre faute, après tout.

Comment ça de ma faute ? Derrière le policier, deux autres bonhommes apparurent. Comme ils n’avaient pas l’air commodes, je les ai suivis, songeant que c’était une perte de temps, une lamentable erreur judiciaire, que tout allait être réglé dans l’heure.

Ils m’ont emmenée directement au tribunal. Ne comprenaient-ils donc pas que c’était illégal ? Et l’avocat auquel j’avais droit ? Quand je leur ai posé la question, indignée, ils m’ont répondu : « c’est de votre faute, après tout. »

Ils m’ont placée dans le box des accusés. Il y avait un juge, mais pas de jurés, ni avocat, ni procureur. Juste un greffier pour prendre le procès-verbal sur une drôle de machine ronde.

J’ai protesté encore une fois. En vain (c’est de votre faute, après tout). La loi n’avait pas l’air de les intéresser. Pas plus que mes relations, le président de la république, le chef du monde et tout ce qui m’a traversé la tête. Même mon chat, je l’ai cité, en disant qu’il était féroce et allait les manger, quand il saurait. Le pire, c’est qu’ils n’ont même pas souri.

Le juge a commencé d’emblée :

  • Vous êtes coupable et condamnée.
  • Comment ?

Je cherchais dans le public quelqu’un qui puisse intervenir, qui se rende compte de l’absurdité de la situation, quelqu’un qui ne soit pas fou. La foule restait muette. Je me suis sentie un peu mal à l’aise. Comme un air de déjà vu. Toutes les personnes présentes étaient étranges. Des caricatures. Un peu comme mon policier. Ils me regardaient tous fixement et avaient l’air d’être fâchés.

  • Est-ce que vous pourriez m’expliquer de quoi je suis accusée, avant de me déclarer coupable ?

Le juge avait l’air surpris.

  • Je dois d’abord vous accuser ?

Désemparé, le juge fit signe à quelqu’un dans l’assistance de s’approcher. C’était l’ombre qui était apparue chez moi, tantôt.

Le magistrat lui chuchota quelque chose. Elle s’approcha de moi.

  • Pourquoi est-ce que vous m’avez transformée ?

De quoi est-ce qu’elle parlait ? Etais-je donc en possession d’un pouvoir que j’ignorais ? Je me suis mise à rire. Seule. Encore.

  • Je me préférais dans la première version. J’étais en couleurs, heureuse, libre, au soleil. J’exige que vous me réintégriez dans la première version et que vous supprimiez celle-là.

Était-ce possible que… Mais non. Les personnages ne peuvent sortir du support dans lequel ils ont été emprisonnés. Et pourtant… cette caricature de policier, je l’avais déjà utilisée dans une de mes histoires. Je m’en souvenais à présent. Comme cette femme exigeante que j’avais fusionnée avec son ombre. J’ai essayé de lui expliquer que je n’y pouvais rien. Que j’avais des consignes à respecter. De toute façon, je ne pouvais pas deviner qu’elle allait s’incarner pour de vrai.

Un autre de mes personnages est venu à la barre. Un trader. Il me reprochait son caractère impitoyable et sa fin pitoyable. Emprisonné à cause d’un enfant ! Il avait l’avenir devant lui, il aurait pu devenir le roi du monde. Il hurlait à la barre et me jetait des regards terrifiants.

Tous mes personnages ont défilé à la barre. Chacun avec des revendications plus ou moins justifiées, m’accusant de l’incohérence de leurs actions, de ne pas m’être assez documentée ou de ne pas avoir la fin qu’ils méritaient. Les pires étaient ceux dont je n’avais pas terminé les histoires. Ils étaient condamnés à revivre perpétuellement des bouts de phrases ou d’histoires inachevées. Ils me parlaient du vide monstrueux qui les happait en plein milieu d’une page, avant de les propulser en début d’histoire.

 J’ai promis de faire plus attention, en songeant à tous les documents encore ouverts sur mon ordinateur. Sitôt rentrée, je les supprimerai purement et simplement. Je me levai, me dirigeai vers la sortie. Personne pour me retenir. Juste avant de quitter la salle, j’ai éclaté de rire. Ils croyaient quoi, tous ces personnages. C’est moi le maître. Ils ne pouvaient pas me dicter mon écriture.

  • Vous êtes coupable et condamnée, dit le juge.

Je sursaute et ne peux m’empêcher de dire :

  • Comment ?

Je cherche dans le public quelqu’un qui puisse intervenir, qui se rende compte de l’absurdité de la situation, quelqu’un qui ne soit pas fou. La foule reste muette. Je me sens un peu mal à l’aise. Comme un air de déjà lu…

C’est de ma faute, après tout.

Peur de rien

– Qu’est-ce que tu lis ?

Assis sur un banc, Vincent sursaute. Un de ses collègues trader se tient debout devant lui, le forçant à lever les yeux. Sourire suffisant. Dents trop blanches. Canines pointues. Le jeune homme ferme son ouvrage et en montre la couverture. « Les écrits de Warren Buffet ».

– Évidemment, je me disais aussi. Pas capable de te détendre, mon pote.

Puis, comme il se retourne pour passer son chemin, il glisse : « Un jour je te ferai mordre la poussière. »

Vincent sourit. Il n’a pas peur. Aucun de ses multiples ennemis n’a réussi à avoir sa peau. C’est eux qui le craignent et jalousent ses talents, sa fortune, les femmes qui fréquentent son lit. Ils lui en veulent de son succès. Lui, que personne ne connaissait trois ans auparavant.

L’instituteur, qui l’avait pris sous sa protection à la mort de ses parents, lui avait prédit qu’il serait médecin. « C’est un beau métier. Ou alors, tu seras philosophe, ou enseignant, comme moi. »

Vincent était devenu trader. Ses seules motivations : l’argent et le jeu. Son maître d’école lui avait pourtant enseigné les « vraies valeurs de la vie », qu’il disait, comme l’amour d’autrui, la tolérance ou l’intelligence du cœur.

Mais Vincent avait croisé la route de loubards élégants. Ils lui avaient montré le pouvoir de l’argent. Il avait été conquis. Il avait 15 ans et avait tourné le dos à son maître d’école. L’essentiel, pour lui, était de faire partie d’une bande. Il était leur frère « à la vie à la mort ». Sa loi : voler les pauvres pour donner aux riches.

Son nouveau protecteur avait remarqué son intelligence. Il imaginait, pour lui, un avenir plus glorieux que celui de petit délinquant. Il l’avait poussé à étudier la finance et l’informatique. « Pour que tu saches voler avec brio, sans te faire prendre. » Très vite, il avait excellé et était devenu un trader au-dessus de la norme. Nul ne devinait qu’il était aussi pirate, qu’il pratiquait des délits d’initié à la pelle et se glissait quotidiennement dans les réseaux des entreprises les plus sécurisées. « L’information est la clé », disait toujours son mentor.

Vincent est fier de la haine de ses ennemis à son égard. Il sourit de toutes ses dents, plus blanches et plus aiguisées que celles de ses ennemis. Son regard se reporte sur le livre qu’il tient entre les mains. Celui qu’il parcourait et qu’il avait réussi à cacher, quand son collègue l’avait interrompu.

Le bouquin d’un môme.

L’enfant est assis sur le bord d’un trottoir. Sale. Un livre ouvert sur ses genoux. Il a peut-être 10 ou 12 ans. Il lui fait penser à lui, Vincent, quand il était petit. Pourquoi ne le prendrait-il pas sous sa protection ? Il en fera un homme riche et sans état d’âme.

« Qu’est-ce que tu lis ? ». L’enfant ne répond pas, ne lève même pas la tête. Le jeune homme continue à lui parler. Il lui promet de beaux habits, de quoi manger tous les jours « à s’en faire péter la panse ». Mais le petit ne l’écoute pas. Il le rejette, lui renvoie sa solitude en pleine figure. Pour une fois qu’il veut s’occuper de quelqu’un… L’enfant se lève, part avec son livre serré contre lui. Sans doute, son objet le plus précieux. Furieux, Vincent le rattrape et lui flanque une raclée. Sa chevalière heurte la joue du garçon qui explose sous la force de la gifle. Du sang coule, mais l’enfant ne dit pas un mot. Juste un regard d’incompréhension. Vincent le relâche, puis lui arrache le livre. L’enfant se met à pleurer. « Ça t’apprendra à me traiter comme ça, pauvre minable. » Vincent part, fier d’avoir le dessus. Sa loi : voler les pauvres…

Vincent jette un coup œil sur l’album. Une pensée fugace lui traverse l’esprit. Est-ce que sa loi s’applique aux enfants ? Il chasse cette idée et se lève du banc pour aller manger au restaurant, seul comme à son habitude. Avant de partir de son bureau, il s’était saisi d’un livre sur les finances et l’avait fourré dans son attaché-case. Dessous, il y avait l’album du petit : « Le Livre de la Jungle ». Après une hésitation, l’ouvrage avait rejoint le premier dans la mallette. Vincent s’était assis sur un banc et l’avait ouvert au hasard. « Ecoute, Petit d’Homme, dit l’Ours, – et sa voix gronda comme le tonnerre dans la nuit chaude. – Je t’ai appris toute la Loi de la Jungle pour tous les Peuples de la Jungle…. Sauf le Peuple Singe, qui vit dans les arbres. Ils n’ont pas de loi. » Son collègue qui l’avait interrompu dans sa lecture n’avait pas vu le trouble qu’avait suscité chez lui cet extrait.

A présent, Vincent hésite à le jeter dans une poubelle, mais il le garde, sans trop savoir pourquoi. Il se rend dans le restaurant, où sa place, proche de la fenêtre, est toujours réservée, commande un menu gastronomique, dont il laissera les trois quarts. Il est riche. Peut se le permettre. Les journaux qu’il lit quotidiennement sont posés sur sa table. Il se saisit du premier. Les lignes dansent devant ses yeux. Il ne parvient pas à se concentrer. Il pense au film de Walt Disney qu’il a vu, il y a longtemps, à une époque révolue. Avec toute sa classe. C’était la veille de Noël. Son instituteur était là. Il était heureux. Il revoit Baloo et Mowgli qui chantent dans la jungle. Repense à la philosophie de l’ours.

L’enfant, que le trader a brutalisé, se substitue bientôt à Mowgli. Qu’importe. Le gosse ne se plaindra à personne de la marque laissée sur sa joue par sa bague.

Le serveur arrive, portant sur son plateau une flûte de champagne. Il se saisit du verre pour le poser sur la table, mais arrête son geste, le regard fixé sur l’extérieur. Vincent tourne la tête. Devant la vitre, le garçon, accompagné d’une dame élégante et de deux policiers, le montre du doigt. Sur sa joue, un énorme pansement. Le trader se maudit de ne pas avoir jeté le livre. Comment a-t-il pu imaginer qu’il s’agissait d’un petit mendiant ? Il se souvient, mais un peu tard, d’une des leçons essentielles de son maître d’école : ne pas se fier à l’apparence. Lui, le criminel de haut vol, vient d’être condamné par un enfant.

Saint orgueil

Dominique était la bonté incarnée. Croyante, elle allait au culte le dimanche, priait tous les soirs, était active dans toutes sortes d’associations caritatives et aidait son prochain à chaque occasion. Pas un mendiant qu’elle ne croisât sans lui remettre quelques pièces. Dans sa poche gauche, elle avait toujours un peu d’argent pour eux, et dans sa droite, des bonbons pour les enfants. On la remerciait souvent avec des larmes de reconnaissance plein les yeux. « Vous êtes une sainte ! » Modeste, Dominique secouait la tête en émettant un petit rire. « Mais non, voyons, c’est tout à fait normal. N’importe qui aurait fait comme moi. » Évidemment, rares étaient ceux qui en faisaient autant qu’elle. Elle le savait.

À l’aube de sa vie, elle était déjà très sérieuse. Ses parents, sévères, n’avaient pas accueilli sa venue dans ce monde comme il se doit. « C’est une fille », avait dit la sage-femme. « Encore ! » n’avait pu s’empêcher de rétorquer la mère. Son père, quant à lui, avait quitté l’hôpital sans la regarder. Toute son enfance, elle s’était efforcée de leur plaire. À dix ans, elle se comportait comme un garçon. Ses parents ne l’en aimaient pas plus pour autant et ses trois sœurs aînées se moquaient d’elle.

Adolescente, elle comprit qu’elle ne pourrait jamais plaire à ses parents. Elle renonça à se prendre pour un garçon, se mit à porter des robes longues et noires, croyant passer inaperçue. Isolée, ne trouvant sa place nulle part, elle se réfugia dans la religion.

Elle apprit qu’il fallait répandre le bien autour d’elle. Elle obéit. Sans état d’âme. Peu à peu, elle en retira une certaine satisfaction. Elle pardonna à ses parents et à ses sœurs, puis cessa d’y penser. Elle était parfaite de bonté et regardait les autres avec une indulgence assaisonnée d’un zeste de dédain. Elle avait souffert, elle avait surmonté ses difficultés, elle était devenue supérieure aux autres. Car elle, elle avait su pardonner. Elle, elle donnait sans contrepartie. Elle, elle serait sanctifiée et irait au paradis. Elle avait atteint le sommet de la bonté et se comparait à Mère Teresa.

Le jour de ses 60 ans, après une journée passée à aider son prochain, elle passa devant un mendiant assis à même le sol contre la vitrine d’un magasin. Compatissante, elle fouilla dans son manteau. Rien. Comment était-ce possible ? Elle agita sa main affolée, et finit par découvrir un trou au fond de sa poche gauche. Dans son portefeuille, elle n’avait plus d’argent liquide. Plus qu’une solution, retirer de l’argent à un distributeur de billets.

  • Je reviens, ne bougez pas, fit Dominique, stressée à l’idée de perdre son statut de sainte.

L’homme leva les yeux, sans comprendre. Elle jeta alors une poignée de bonbons sur le sol.

  • Pour patienter.

Puis Dominique se précipita à la recherche d’un guichet automatique bancaire, tandis que l’homme jetait les douceurs dans sa direction, en murmurant « vieille folle ».

Dominique finit par trouver un appareil à billets. Manque de chance, il était en dérangement. Le suivant se trouvait de l’autre côté d’un parc. Il faisait déjà nuit. Il se mit à pleuvoir. Elle n’avait pas pris de parapluie. Qu’importait, elle ne pouvait faillir à sa mission. Elle traversa le parc en courant et finit par atteindre le distributeur de billets. Fébrile, elle composa son code. Se trompa deux fois. Pas la troisième. Sa frange dégoulinait sur son visage. Elle n’y voyait rien. L’appareil cracha une masse de billets. Contrariée (elle était sûre de n’avoir choisi qu’un faible montant), elle fourra l’argent en vrac dans son sac. Retraversant le jardin au pas de course, elle glissa et tomba dans la boue. Elle hésita à jurer. Mais une sainte, même stressée, ne prononce aucun mot de la sorte.

Quand elle se retrouva à son point de départ, le mendiant était parti. Ne restait plus, sur le sol, que quelques bonbons écrasés. Elle chercha l’homme un moment. En vain. Désemparée, elle marchait dans la rue, l’air égaré, sale et trempée. Les passants s’écartaient sur son passage. Elle avait manqué à sa parole. Elle ne valait plus rien. Elle laissa tomber son sac rempli d’argent dans une poubelle. Fatiguée, désemparée, elle s’assit par terre, devant un magasin de jouets, et ferma les yeux.

Quand elle les rouvrit, une fillette de 7 ou 8 ans se tenait devant elle. Regard clair. Attentif.

  • Pourquoi t’es là ? T’es malade ?

La femme voulut se lever, mais ne réussit pas. La mère, réalisant que l’enfant ne l’avait pas suivie, revint en arrière.

  • Vous avez besoin d’aide ?, demanda l’adulte, en voyant l’état de la vieille dame qui faisait bien plus que son âge.

De l’aide ? Dominique ? Mais non, ce sont les autres qui ont besoin de son aide. C’est elle la sainte.

  • Vous êtes frigorifiée, vous ne pouvez pas rester comme ça. Venez ! On habite à côté.

La femme aida Dominique à se lever et la seconde suivit la première, sans dire un mot.

Dans le salon, un feu de cheminée brûlait.

  • Je m’appelle Lina, dit l’enfant. Et maman, c’est « maman ».

La mère de l’enfant rit, Dominique esquissa un sourire. Depuis quand n’avait-elle plus vraiment souri ?

  • Johanna, compléta la maîtresse de maison. Si vous voulez, vous pouvez prendre une douche pour vous réchauffer. Je vous prêterai des vêtements.

Dominique resta longtemps sous le filet d’eau chaude. Elle se sentait bizarre, sans savoir pourquoi. Quand elle ressortit de la salle de bain, un repas l’attendait. Le père de l’enfant était arrivé. Il n’avait pas l’air surpris de trouver une inconnue chez lui. Elle échangea quelques mots avec ses hôtes simples et rayonnants. Ses certitudes avaient volé en éclats, mais son cœur s’était réchauffé. Elle accepta de rester pour la nuit.

  • Vous dormirez dans la chambre de Véronique. La sœur de Lina est en camp de ski.
  • Vous n’avez pas de fils ?, ne put s’empêcher de demander Dominique.
  • Non, pourquoi ?

La vieille dame ne répondit pas. Mais quand elle se retrouva seule dans cette chambre d’enfant, elle pleura pour la première fois depuis longtemps.

La boussole

  • Ralentis !
  • J’y peux rien, c’est lui qui tire… Il a l’air pressé tout d’un coup.

Jo regarde le simplet qui court de façon désordonnée, cramponné à la barre du caddie, et le garçon qui cavale à côté de lui. Essoufflé, Jo ralentit. Comment ai-je pu me laisser embarquer dans cette histoire ? »

Tout avait commencé deux jours avant. Alors qu’il rangeait les rayons du supermarché dans lequel il travaillait, Jo avait vu venir Pierrot, tout affolé. Les caddies, y sont malades. Z’ont éternué.

  • Les caddies ne peuvent pas éternuer, lui avait rétorqué Jo.

Mais Pierrot ne cessait de répéter : Y sont malades. C’est vrai.

Quand ils étaient rentrés, le garçon, Momo, lui avait dit : C’est normal, avec tout c’que les bourges y mettent.

Jo connait Pierrot depuis l’enfance. Il l’a toujours défendu des moqueries des autres. Il lui a même fait une place dans son appartement, quand ses parents sont décédés brusquement. Momo, lui, a été déposé devant l’entrée de l’immeuble, quand il avait environ 3 ans. Sans un mot d’explication. Personne ne savait à qui il était et nul n’avait songé à l’inscrire à la commune. Les habitants s’en occupaient à tour de rôle. Mais Momo passait la plupart du temps chez Jo qu’il avait fini par appeler « papa ».

Le lendemain, le premier chariot avait disparu. Personne ne s’en était aperçu, sauf Pierrot, qui était préposé au rangement des caddies. Il est allé chez le toubib, qu’avait fait Momo, le soir. Au matin du troisième jour, il n’y avait plus ni paniers, ni caddies devant le magasin. La police était là. Les employés avaient été renvoyés chez eux.

A leur retour, Jo et Pierrot avaient trouvé un chariot devant l’immeuble. Avec un rétroviseur et une boussole accrochés à la barre de poussée. A l’intérieur, un soulier gauche démesuré, qu’ils n’avaient pas réussi à extraire. C’est un signe ! Faut y aller, avait dit le petit. Pierrot avait applaudi. Aller où ? avait rétorqué Jo. Ce n’est que plus tard qu’il avait compris, à cause de la boussole. Jo pensait qu’ils se contenteraient de faire le tour du quartier… Mais ils avaient fini par sortir de la ville. Pierrot était accroché à la barre du caddie, marchant de plus en plus vite. Jo avait tenté de les faire revenir. En vain.

  • Attendez-moi !

Les deux autres ne l’écoutent pas. Ils quittent la route. Se retrouvent en plein champ. Le chariot semble voler au-dessus des herbes et des cailloux, tandis qu’ils dévalent la pente. En bas, dans la petite vallée, l’immobile serpent gris d’une rivière. Jo se remet à courir. Se demande comment il va les rattraper, quand soudain, les deux s’arrêtent brusquement devant le cours d’eau. Jo les rattrape.

  • Qu’est-ce qui vous prend de courir comme ça ? Assez rigolé. On rentre maintenant.

La voix de Jo est autoritaire. Pierrot et l’enfant échangent un regard. Il y comprend rien. Jo pose ses mains sur la barre du caddie, prêt à faire demi-tour. Seulement, les roues sont embourbées. Jo se résigne à traverser la rivière. Le caddie semble flotter au-dessus de la surface, tandis que Jo s’enfonce. Il a de l’eau jusqu’à la taille. Une fois de l’autre côté, trempé, il veut faire demi-tour. La boussole s’affole. Le chariot résiste, n’en fait qu’à sa tête et se dirige vers la montagne, entraînant Jo à sa suite. La boussole se calme.

  • Il bouge tout seul. Je peux pas enlever les mains, s’effraie Jo, tandis que les deux autres rigolent et courent à côté de lui.

Le chariot accélère. Pierrot et Momo peinent à suivre. Jo jette un coup d’œil dans le rétroviseur. Il ne les voit pas. A la place, un temple grec,  posé au milieu de nulle part. Choqué, l’homme se retourne, manque de trébucher. Son pote et le petit sont derrière lui à galoper comme ils peuvent. Coup d’œil dans le rétroviseur. Temple grec. Comment est-ce possible ? Pierrot tente un virage, la boussole perd la boule, le caddie bloque. Jo, qui ne s’y attend pas, se trouve projeté à l’intérieur, la tête la première dans la chaussure. Les deux autres ont les côtes qui pètent à force de rire. Jo gigote. Pierrot finit par l’extraire du soulier.

Jo regarde le caddie avec méfiance, hésite à en toucher la barre de poussée, puis cède. Le chariot repart en direction de la montagne.

Le chemin devient de plus en plus étroit, de plus en plus raide, mais la charrette infernale n’en a que faire. L’homme n’est plus qu’une marionnette désarticulée. Ses poumons sont au bord de l’explosion, son cœur cogne.

Loin derrière, Pierrot et Momo. Jo est au bord de l’évanouissement, quand le caddie s’arrête devant une falaise, qui s’ouvre sur un val étroit et goudronné. Jo reprend ses esprits et son souffle. La machine repart lentement.

Pierrot et Momo rejoignent Jo au moment où il sort du canyon.

  • C’est la magie, s’exclame Momo.

Pierrot applaudit. Jo en perd ses mots. Le caddie lâche enfin Jo et s’en va retrouver les centaines d’autres de ces congénères métamorphosés, multicolores, joyeux. Tous ensemble, imbriqués les uns dans les autres, ils forment une gigantesque sculpture à rouages, crachant de petites cascades d’eau. Des dizaines des chevaux miniatures caracolent au milieu de la sculpture, accompagnés de gymnastes qui tourbillonnent et dansent sur les barres des caddies revisités. Au sommet, un temple grec avec la statue d’un homme auquel, il manque le pied gauche. Entre ses mains, il tient un serpent.

  • C’est la magie, répète Momo. Il les a guéris. Il faut lui rendre son soulier.
  • Guéri ? La chaussure de qui, demande Jo qui n’y comprend plus rien.
  • Il a guéri les chariots de leur indigestion.
  • C’est n’importe quoi.

Quand ils repartent quelques heures plus tard, le long du macadam, dans la lumière couleur métal, pataugeant dans la cendre de leurs malheurs défunts, la statue est chaussée. Ils n’ont plus envie de retourner dans la ville qui fut la leur, préférant se laisser guider par un drôle de chariot et sa boussole.

  • Bon, alors, ça sera quoi, maintenant ? demande Momo, qui jette un coup d’œil dans le rétroviseur.