Les ailes, ça compte?

Dans la salle d’attente de la vétérinaire comportementaliste, Agathe la poule, coincée dans sa cage, glousse, nerveuse, tandis qu’Elliot, le chien, aboie contre elle.

Elliot : T’as rien à faire là, espèce de volatile ! Regarde l’écriteau. Tu sais pas lire ?

Agathe : N… n… n…on. C’…c…c’est écrit quoi ?

Elliot : Aux amis des quatre pattes ! C’est un vétérinaire pour ceux qui ont quatre pattes et qui aiment les animaux à quatre pattes. Quatre ! Tu comprends ? Et toi, t’en as combien ? Hein ? Hein ? Mais j’parie que tu sais pas compter non plus… Evidemment, t’es trop bête. Les poules, ça a un pt’it cerveau.

Agathe : C’est pas vrai. Ma maîtresse, elle dit que j’suis zintelligente. Très.

Elliot : Elle dit ça pour te faire plaisir.

Agathe : Et pis, je sais compter jusqu’à cinq.

Elliot : Alors, alors t’as combien de pattes ? Dis pour voir…

Agathe : J’ai d… d… deux pattes. Mais j’ai aussi deux ailes. Alors ça fait quatre.

Elliot : Ça compte pas, les ailes.

Agathe : P…p…pourquoi ?

Elliot : Parce que c’est pas des pattes. C’est tout. Alors fous le camp.

Agathe : Mais ma maîtresse…

Elliot : On s’en fiche. Elle sait pas lire non plus !

Agathe : Peux pas partir.

Elliot : Pourquoi ?

Agathe : J’suis dans une cage.

Elliot (plus calme) : Ouais… t’as une bonne excuse. Mais tout de même. Tu devrais pas être là.

Après un moment de silence.

Agathe : Fais chaud. Ça manque d’air. Moi, je vis dehors. J’ai pas l’habitude de cette chaleur. Z’ont même pas ouvert la fenêtre. Elle est trop petite cette salle d’attente. Tu trouves pas ?

Elliot : Possible. En plus, je me retrouve avec toi à attendre. Une poule ! C’est la honte. Si t’étais pas enfermée, je ferais de toi mon petit déjeuner. Mon maître m’a rien donné avant de partir. J’ai faim…

Agathe : T… t… t…tu ferais pas ça… Hein ?

Elliot : Wouaif… De toute façon, t’es trop petite.

Agathe : Je suis une poule soie. Les zhumains, ils zadorent les poules soies. On est belles, douces. T’es là pourquoi ? T’…t… t’as mangé une p… p… poule ?

Elliot : Non. Et toi ?

Agathe : Moi ! Je mange pas des poules… je mange des graines.

Elliot (un peu hargneux): T’es vraiment trop bête. Je te demande pas si tu manges des poules ! Je te demande pourquoi t’es là.

Agathe : A cause de Saturnin, le canard. Y me sautait dessus et me rachait les plumes du cou. Ma maîtresse dit que je suis romatisée.

Elliot : Romatisée ?

Agathe : Je ponds plus d’œufs. C’est ça qu’elle a dit, ma maîtresse. Parce que je suis romatisée.

Elliot : Tu ponds des œufs, toi ?

Agathe : Bin, j’suis une poule. Mais moi je sais plus pondre. Et toi ?

Elliot : Moi, j’ai jamais pondu d’œufs.

Agathe : Bin c’est normal, t’es un chien.

Elliot : Wouaif. Évidemment. Mais c’est pas juste.

Agathe : Tu voudrais pondre des œufs, toi ?

Elliot : Non.

Agathe : Alors, c’est pas un problème.

Comme Elliot ne répond pas, Agathe revient à la charge.

Agathe : T’es là pourquoi ?

Elliot (avec un sursaut d’agressivité) : C’est pas tes oignons.

Agathe : Je…je…voulais pas te zé…zénerver.

Elliot : Mon maître, il dit que je suis agressif. J’aboie trop.

Agathe : Pourquoi ? T’es toujours fâché ?

Elliot : Non. Il dit que je suis traumatisé.

Agathe : Romatisé ? Comme moi, comme moi… Sauf que toi, toi, personne te demande de pondre.

Elliot : Wouaif, mais j’ai peur de tout. Alors j’aboie pour faire fuir les gens. J’étais enfermé dans un enclos quand j’étais petit. C’est pour ça que je suis traumatisé. Je vivais avec d’autres chiens. J’avais pas de maître.

Agathe : Mais toi, toi, t’es grand. C’est toi qui fais peur ! Moi, j’suis petite et je fais peur à personne.

Elliot : Je fais peur, moi ?

Agathe : Évidemment ! T’as vu comme t’es fort ? Et pis t’as quatre pattes, t’es l’ami du vétérinaire et de tout le monde. Pas moi.

Elliot : Tu sais, les pattes… finalement, c’est pas si important.

Agathe : Alors, alors, tu crois que ça compte quand-même les ailes ?

Elliot : Bien sûr !

La porte du cabinet de la vétérinaire comportementaliste s’entrouvre, Elliot se met à aboyer en reculant, puis se cache derrière la cage de la poule qui glousse.

La vétérinaire fait entrer la maîtresse d’Agathe avec la cage. Elliot se précipite derrière eux en entraînant son maître.

Vétérinaire : Curieux. On dirait que la poule et le chien sont devenus amis. Cela vous dérangerait de faire cette séance tous les cinq ?

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