Une luciole ne peut pas s’apprivoiser

Assis à la table de sa cuisine, l’Ecrivain procrastine. Se prépare un café. Pour se réveiller ou tout au moins, éveiller les contes qui sommeillent en lui. Debout, près de la machine qui chauffe, il regarde avec colère cet ordinateur qui refuse d’exprimer ses idées. Il boit son breuvage d’une traite. Au fond de la tasse, le marc laisse des traces. Il essaie d’y lire de futures histoires. Insaisissables. Découragé, il finit par choisir la fuite. Enfile son manteau, songeant qu’une promenade en forêt lui fera du bien.

Il marche quelques centaines de mètres puis s’assied au pied d’un chêne. Immense. L’automne laisse passer quelques rayons de soleil à travers ses branches bientôt nues. Si seulement… si seulement il savait prier. Si seulement il croyait en une magie unique, universelle qui tisserait pour lui le fil de ses histoires. Sans effort.

L’Ecrivain ferme ses yeux un instant. Quand il les rouvre il fait nuit. Un peu frais. Il s’apprête à se lever, lorsqu’il l’aperçoit. Juste devant lui. Comme un œil unique ouvert sur d’infinies possibilités. Une lueur vert clair dansant dans la nuit.

Luciole.

Son cœur grandit, son intériorité s’ouvre à de nouveaux espaces. Désespoir d’écriture se mue en des espoirs, porteurs d’histoires inconnues et fabuleuses. Eclairé par cette lueur intermittente et balbutiante, mais ô combien magique, il oublie où il est, qui il est. Son âme danse au rythme de ce métronome vivant. Hors de l’espace et du temps. Puis soudain, la luciole laisse échapper une sorte de pelote lumineuse, qui explose en un feu d’artifice de fils multicolores, s’accrochant aux buissons et aux arbres. Puis elle disparait. Intrigué, l’Ecrivain se lève, s’approche de cette toile tissée de phosphorescences délicates. Il effleure, du bout des doigts, les fibres qui voyagent d’un buisson à l’autre, dessinant des lutins et des fées au milieu des bois. L’aube d’une histoire se lève en lui, tandis qu’il s’approprie les personnages. Merci pour ce merveilleux cadeau.

L’Ecrivain rentre chez lui précipitamment, portant en son cœur la genèse de son roman. Il frappe les touches de son clavier dans l’obscurité. Il écrit sans s’arrêter. Plus besoin de café. Plus besoin de lire dans son marc. Merci Luciole. Je te reviendrai. Il frappe les touches avec plus ou moins de délicatesse. Il écrit, heure après heure, jour après jour. Met un point final à son récit. Heureux.

L’histoire est étrange. Décousue. Lumineuse, par intermittence, comme la luciole.

Quelques  semaines plus tard, l’Ecrivain retourne vers l’arbre centenaire, espérant revoir la luciole. Orphelin d’inspiration. Plus de café, plus de marc. Il ferme les yeux un instant. Les rouvre. Elle est là et pond une nouvelle pelote lumineuse que l’Ecrivain lance en l’air, pour découvrir les ingrédients et les personnages d’une nouvelle histoire, dont des bribes patientent en lui. Luciole, ô ma tendre luciole, viens avec moi. Chez moi. Je me languis de toi.

Mais la luciole éclaire la forêt comme elle veut, où elle veut. Par moments.

Impatient, l’Ecrivain la guette. Caché dans son dos, un filet à papillon. Il l’attend. Il a besoin d’elle. De ses chemins lumineux, de ses personnages cachés, révélés dans les buissons. Elle s’illumine, s’éteint. L’Ecrivain la repère, finit par deviner où elle va réapparaitre. Il est prêt. Quand la luciole, joyeuse, s’illumine, il abat brusquement son piège sur elle. Elle ne se débat pas, se laisse enfermer dans la lanterne sans bougie, qu’il a apportée avec lui.

Satisfait, heureux, l’Ecrivain rentre chez lui. La luciole et tous ses trésors lui appartiennent.

Désormais, tous les soirs, il ouvre la porte de la lanterne pour se saisir du cadeau de l’insecte, pour le projeter dans les airs… Les fils multicolores s’accrochent aux parois, au plafond et aux objets de son petit appartement, créant une toile, réveillant ses histoires endormies et balbutiantes. Des mots et des personnages surgissent et l’Ecrivain leur donne vie. Ses doigts courent sur le clavier de son ordinateur. Lumineux d’inspiration.

En quelques semaines, l’appartement ressemble à une gigantesque toile d’araignée. Car la luciole engendre de plus en plus de pelotes, qui s’éparpillent dans les pièces, s’accrochant à tout. Les personnages et les situations se multiplient de plus en plus rapidement. L’Ecrivain ne parvient plus à suivre les suggestions de la luciole. Son cerveau s’emballe. Ses fictions s’emmêlent, deviennent folles. L’Ecrivain peine à se mouvoir au cœur de la trame. Il retourne vers la luciole toujours enfermée dans la lanterne. Il la supplie de ralentir le rythme. Mais elle n’entend rien et réussit à projeter ses pelotes à travers les interstices de la lanterne. Elle a perdu son bonheur de vivre. Elle se résout à produire, produire, sans joie, sans conviction.

Après quelques jours, l’Ecrivain étouffe, étouffe dans son univers fictionnel. Luciole, ô ma chère luciole que te faut-il pour redevenir celle que tu étais ? La luciole clignote lentement. Tristement. Une luciole ne peut pas s’apprivoiser. Résigné, l’Ecrivain se saisit de la lanterne et va dans la forêt pour libérer la luciole.

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