Vous ne serez jamais qu’une ombre insignifiante

Je regarde avec dégoût l’homme à mes pieds. Cela fait si longtemps que j’attends ce moment. Je ne l’imaginais pas comme ça, avec ce regard tourné vers l’au-delà, mais qu’importe. Je ne lui fermerai pas les yeux. Qu’il affronte l’enfer. Le mal qu’il m’a fait jour après jour. Cette insignifiance qu’il m’a imposée.

Un rayon de soleil, un simple rayon de soleil a changé mon existence. Un reflet dans une vitre, dans le bâtiment d’en face, et cette phrase : « elle n’est pas très souriante votre secrétaire ». Des mots plantés en plein cœur. « Elle n’est pas très souriante votre secrétaire », alors que le soleil se rit des vitres et des reflets. Et moi, toujours grise. Triste. Plate. Je ne m’en suis même pas aperçue.

Le plateau que je tenais entre les mains m’a échappé, éclaboussant de café l’importance de ces messieurs cravatés, assis autour d’une table pour une réunion. Je me suis enfuie en riant comme une folle. Puis je suis revenue à la nuit tombée. Mon chef était là. Dans son bureau. Je suis entrée. La lumière était tamisée. Il a levé la tête, m’a dit que j’étais virée, puis s’est remis à travailler. J’ai bougé, à peine. Juste pour saisir la lampe à côté de moi. Un cri. Stupéfaction dans son regard. Comment a-t-elle osé ? Puis son corps chancelant tombant à terre. A mes pieds. Enfin.

Je me prénomme Amandine et je suis une secrétaire parmi des millions d’autres. Mais aujourd’hui, j’ai tué mon patron. Je ne peux résister à l’envie de poser mon pied sur sa poitrine, en signe de victoire.

Mon pied se soulève, suivant le rythme de sa poitrine. Est-ce normal ? Le coup que je lui ai asséné me semblait pourtant fatal. Je me sens mal à l’aise et je reprends la lampe, porte un nouveau coup, puis je m’acharne sur son crâne qui n’en est bientôt plus un. Juste une bouillie grisâtre assaisonnée de petits bouts d’os. Sa poitrine continue à se soulever régulièrement. Inspiration. Expiration. Inspiration… Affolée, je me précipite dans la petite cuisine du bureau, je cherche fébrilement un couteau : le plus grand et le plus aiguisé possible. J’en trouve un, je m’en saisis, il m’échappe de mes mains tremblantes, vaporeuses. Je le ramasse, puis retourne vers le corps qui persiste à respirer. Des coups multiples en plein cœur, puis sur toute cette chose démoniaque. Jusqu’à l’épuisement. Echevelée, haletante, riant de façon désordonnée. Le cadavre ne ressemble plus à rien. Juste une masse sanglante et… respirante. Inspiration. Expiration. Toujours ce rythme de vie insupportable. Comment est-ce possible ?

Un bruit de chaise derrière moi me fait sursauter. L’ombre multicolore de mon chef est assise à son bureau. Sur sa façade rougeâtre, un sourire carnassier. Celui des mauvais jours. Mon regard passe de lui au corps gisant, désormais impossible à identifier. Lui aussi devrait être réduit en bouillie. Non ?

Ma tête tourne, je me sens mal. J’en suis presque à regretter mes journées toutes pareilles. Réveil chaque matin à 5h30. Même les réflexions de mes collègues. « T’as dormi là ? » ou encore « On sait toujours où te trouver : à la photocopieuse ! », accompagnées d’un rire bien gras. Je pense aussi à mon chat. J’aurais dû lui donner un nom.

– Vous êtes virée… vous ne serez jamais qu’une ombre insignifiante, assène le double de mon chef.

Je le sais. Elle le sait. J’ai envie de répondre, mais rien ne vient.

– Je suis désolée pour ce matin, fait soudain une voix féminine juste derrière moi.

C’est mon double de couleur qui me suit partout depuis que je suis née. Comment se fait-il qu’elle ne me soit plus soudée ?

– Cela ne change rien, réplique son chef.

Mon double se retourne, prête à s’enfuir, des sanglots coincés en travers de la gorge. Je me glisse alors vers elle puis lui barre le passage. Elle hurle de terreur, en me voyant dressée devant elle. Elle n’a pas fait ce qu’il fallait. Il lui suffisait de prendre la lampe et de suivre mes mouvements. Mon patron et son double ne seraient plus de ce monde. Je me colle à ma jumelle multicolore tétanisée, je l’enlace, puis je pénètre sa vie et éteins ses couleurs… Elle s’est libérée de moi. Elle n’a plus lieu d’être.

Le double de mon chef se lève. Pour la première fois, il pâlit, étouffe un cri d’horreur quand il voit disparaître sa fidèle assistante. Quant à moi, je me sens mieux et beaucoup plus forte. Je laisse l’homme seul, désemparé, et rejoins la dizaine d’ombres qui se glissent hors des autres pièces, sans leurs doubles. En s’affranchissant de nous, nos doubles de couleurs nous ont libérées.  Une nouvelle vie commence pour nous.

Le Coeur de la Mère

« Besoin d’un chirurgien de toute urgence. Vous seul pourrez nous sauver. La Mère gravement malade. Suivez le messager sans tarder. »

Pour la troisième fois, Rémi relit le message qu’il tient entre les mains. Surpris non seulement par son contenu, mais aussi par la manière dont il lui est parvenu.

Quelques minutes avant, il avait ouvert sa porte à un drôle de bonhomme aux vêtements multicolores et dépareillés. Un voisin, sans doute, avait-il pensé. Personne ne pouvait entrer dans l’immeuble sans en avoir la clé. L’homme lui avait remis un parchemin roulé et cacheté d’un sceau à la cire, sans rien dire. Rémi l’avait remercié du bout des lèvres et avait refermé.

Il n’est pas médecin. Il est orfèvre. Un des meilleurs, certes, mais cela n’en fait pas de lui un chirurgien pour autant. Il sait tailler les pierres précieuses les plus délicates et en façonner des bijoux d’exception. Ses compétences sont reconnues bien au-delà des frontières. Sans aucun doute, a-t-il un homonyme chirurgien. 

Il pose le parchemin sur le bar et en profite pour se servir un verre de vin, comme chaque soir, et allume la télévision. Le journaliste relate un vol de bijoux, dont un diamant rose d’une valeur inestimable. Rémi rêverait d’en tailler un, un jour.

Dehors, le temps s’est brusquement gâté. Des éclairs égratignent le ciel de leurs griffes de lumière. Le tonnerre fait trembler les murs du studio. Rémi se lève pour fermer la porte-fenêtre, quand il entend une sorte de grognement juste derrière le bar qu’il vient de quitter. Il se retourne, ne voit rien, se rassure. La lumière et la TV s’éteignent. Rémi pousse un juron, se dirige à tâtons vers le comptoir pour y prendre des bougies. Un nouvel éclair illumine la pièce. L’orfèvre aperçoit une ombre massive dressée derrière le bar. Son cœur battant la chamade, il se glisse vers l’entrée. Il ouvre la porte et se retrouve face au messager multicolore. Soulagé de ne plus être seul, il chuchote :

– Il y a quelqu’un chez moi…

L’homme, au fort accent oriental, regarde par-dessus son épaule.

– C’est Johnny. Viens vers papa, viens mon petit.

Rémi perçoit un souffle chaud dans sa nuque. Derrière lui, un ours brun énorme, dressé sur ses pattes arrière le fixe. Crocs et babines retroussées. L’orfèvre se plaque contre le chambranle et laisse passer le « petit », qui rejoint son maître pour se faire caresser. L’homme repart, précédé par son plantigrade. Réalisant que Rémi ne l’a pas suivi, il se retourne et demande :

– Vous venez ? Mère attend vous, insiste le bonhomme.

– Je suis orfèvre…, proteste faiblement Rémi.

L’ours grogne. Le bijoutier cède. Ils sortent de l’immeuble, traversent la route au milieu des éclairs et du tonnerre, pénètrent dans le grand parc aux arbres chétifs, sur lequel donne l’appartement de Rémi. Après cinq minutes, ils parviennent devant un pavillon délabré et abandonné, qui était jadis un petit restaurant très populaire, appelé L’oasis. La situation sanitaire, écologique et économique a eu raison de cet établissement.

La porte branlante s’ouvre sous la violence des bourrasques. Au milieu de la pièce, une femme énorme, dont le visage est caché derrière des voiles, trône sur une montagne de coussins. Juste un regard fripé, comme une tranchée au milieu des tissus. Une odeur particulièrement nauséabonde flotte dans les airs.

L’ours s’étend au pied des coussins.

– Qu’est-ce que vous me voulez ?, finit par demander Rémi.

– Que vous soigniez mon cœur !, réplique avec difficulté le monstre.

– Je ne suis pas chirurgien, je suis orfèvre.

– C’est bien ce que je disais.

– Mais puisque je vous dis…

– Approchez-vous! Il ne bat presque plus.

L’ours montre ses crocs. Rémi abandonne. La Mère commence à se défaire de ses vêtements. Lentement. Horrifié, au bord de la nausée, Rémi assiste à cet effeuillage, chaque voile virevoltant autour de la femme avant d’atterrir sur le sol. Combien a-t-elle donc de couches ? L’orfèvre aimerait fuir, mais il reste là, tétanisé, fasciné par ce striptease immonde et puant. Puis soudain, elle tend à Rémi, au bout d’une sorte de tentacules aux ongles brunâtres, une pierre grise et terne. L’orfèvre s’en saisit et réalise que l’épaisse couche de saleté cache un joyau. Il oublie le monstre et son striptease, l’ours et ses crocs acérés, le bonhomme et son curieux message. Il oublie qu’il est orfèvre. Il devient chirurgien. Sur une table, dans un coin de la salle, se trouvent tous les outils dont il a besoin pour nettoyer la pierre précieuse et la tailler.

La femme continue à se défaire de tous ces oripeaux, mais Rémi ne s’en soucie plus. Il ne remarque pas non plus que le messager s’en est allé. Avec l’ours. Il nettoie et taille avec passion ce diamant rose. En forme de cœur. Sans se poser de question. 

Dehors, l’orage faiblit. Les éclairs se transforment en gouttes de soleil, timides. Puis de plus en plus lumineuses. Les arbres reprennent de la vigueur. Tandis que le chirurgien-orfèvre travaille, il se sent de plus en plus léger. Il contemple son œuvre brillante de lumière. Il veut rendre le cœur à la Mère, mais elle a disparu. Le caillou s’échappe de ses mains. File à l’extérieur, comme une étoile filant vers le ciel avant de revenir se marier à la Terre Mère.

Quand Rémi reprend ses esprits, le pavillon est métamorphosé. De joyeux lurons échangent des plaisanteries autour des tables aux nappes de couleurs vives, mélange des voiles de la femme et des habits du messager. Bonheur sans prétention. Juste celui d’être ensemble. Lui se trouve assis avec ses amis. Étonné, mais heureux. Il les entend discuter du vol du siècle. Il aimerait leur raconter une autre histoire : celle d’une femme obèse, porteuse d’humains qui la maltraitent. Il aimerait leur dire que ce diamant était le cœur de la Terre. La Mère. Il aimerait leur dire qu’un instant avant, l’Oasis n’était qu’une bâtisse abandonnée… Mais qui le croirait ?

Plus tard, quand il sort du pavillon, Rémi aperçoit, au loin, le messager et son ours. Il leur fait signe. Le bonhomme sourit. L’animal grogne.

Du vol plané pour une nouvelle vocation

1)Je m’approche du bord, ne pas renoncer, encore un pas, le vide, la boule au ventre et cette sensation grisante de la vitesse sur mon corps, puis plus rien ; je flotte au-dessus du village, à la place de mes bras, des ailes immenses, le sol n’est pas loin, mais impossible de m’écraser avec ces fichus appendices ; en bas, une petite fille, crie, veut des ailes comme moi, je descends et la prends sur mon dos, me découvrant ainsi une nouvelle raison de vivre.

2)Je m’appelle Gédéon, 40 ans, sans allocations chômage depuis un mois et sans femme ; plus de raison de vivre: je m’élance du haut du clocher du village, attend le choc contre le sol… qui ne vient pas, à cause d’une fée minuscule qui m’a équipé d’ailes immenses impossibles à replier ; incapable de tomber, je vole au-dessus du village, quand une petite fille me montre du doigt ; elle veut des ailes comme moi ; je descends et la prend sur mon dos pour faire un tour, découvrant ainsi un nouveau plaisir.

3) Un homme grimpe en haut du clocher d’une église, puis s’élance dans le vide; mais juste avant de toucher le sol, des ailes lui poussent instantanément ; alors qu’il survole le village, une petite fille, dans la rue, crie qu’elle veut des ailes comme le monsieur ; celui-ci descend, la prend sur son dos et s’envole au-dessus du village.

4) Quand Gédéon, chômeur en fin de droit sauta du clocher de son village pour se suicider, la fée Arielle, mandatée par le gouvernement des invisibles pour sa protection dès sa naissance, était en train de repasser ses ailes froissées ; affolée, n’étant plus à même de respecter les consignes de sa hiérarchie, elle fit la première chose qui lui traversa l’esprit : remplacer les bras de l’homme par d’immenses ailes ; dans la rue, une petite fille, marchant le nez en l’air, avait tout vu et avait hurlé qu’elle voulait les mêmes ; quand Gédéon entendit l’enfant, il descendit pour prendre la petite sur son dos, à l’insu de sa maman, plongée dans la rédaction de sms; le chômeur retrouva ainsi le goût de vivre, grâce à une fée loufoque et une petite fille. 

5) Bientôt terminé, fini le chômage, plus besoin de courir après l’argent ; je prends mon envol du haut du clocher de l’église, la vue est si belle… je souris au paradis qui se rapproche, mais une fée surgit devant moi… et me voilà équipé d’une paire d’ailes; adieu le paradis, une larme reste un instant suspendue au bord de ma paupière, vite séchée, vite oubliée, quand j’aperçois cette fillette qui me tend les bras ; je plonge vers elle et la fais grimper  sur mon dos ; bonjour la vie, me revoilà.

6) Je ne sais pas ce qui m’a pris de prendre cette môme avec moi ; elle traîne les pieds en rêvassant, toujours le nez en l’air, je n’en peux plus, la tire par la main pour qu’elle se presse ; alors quand elle me dit qu’un monsieur, dans le ciel, a des ailes, je ne cherche pas à argumenter, et pour qu’elle me fiche la paix, je dis « oui » à tout, jusqu’à ce qu’elle s’envole sur le dos de cet individu, un peu louche, me laissant bouche-bée… puis paniquée.

7) Mesdames et Messieurs les jurés, si Arielle, une fée d’une exceptionnelle droiture, a usé de sa poudre magique – et non abusé, comme le prétend Monsieur le procureur – pour éviter à Gédéon, chômeur en fin de droit, de s’écraser à terre, après avoir tenté de se suicider du haut du clocher, ce n’est pas pour nuire à la très honorable Déesse de la Mort – qui était, certes, en droit d’attendre l’âme de Gédéon, selon la destinée qui était la sienne – ni pour soustraire cet homme à son destin ; en effet, ma cliente, qui, au demeurant, a toujours suivi scrupuleusement les directives de sa profession, et dont la carrière irréprochable est reconnue par ses paires – ce dont, j’espère, vous tiendrez compte dans votre verdict – a usé de sa poudre magique uniquement pour préserver la destinée d’une fillette qui, si elle avait été témoin de ce suicide, aurait été traumatisée et n’aurait pas pu accomplir sa propre destinée ; ainsi, contrairement à ce que Monsieur le procureur a prétendu, c’est pour préserver les Ecrits célestes, qui prédisaient un destin exceptionnel à la fillette, que ma cliente a usé de sa poudre magique.

8) Arielle, la fée, relit une fois encore sa mission du jour : Gédéon, chômeur en fin de droit, va se suicider du haut du clocher de son village, elle doit le persuader de renoncer à son projet ; mal organisée, anxieuse, Arielle répète plusieurs fois les arguments à lui présenter, quand elle perçoit une vibration dans sa baguette – c’est le signal que Gédéon est en haut du clocher – Arielle se précipite vers son protégé qui s’élance dans le vide – trop tard pour le convaincre ; paniquée, Arielle jette sur le corps qui chute un zeste de poussière magique, à n’utiliser qu’en dernier recours, – sauf que, pour Arielle, c’est devenu une habitude – et Gédéon se retrouve affublé d’immenses ailes non rétractibles ; décontenancé, il plane au-dessus du village, jusqu’au moment où une fillette hurle qu’elle veut des ailes comme lui ; il descend alors pour la prendre sur son dos, et se trouve une nouvelle vocation, tandis qu’Arielle s’apprête à affronter son énième conseil de discipline.

9) Je vais me foutre en bas du clocher, à cause de ces connards qui m’ont mis au chômage ; je ricane en tombant ; mais voilà qu’une sorte de moucheron, avec une baguette, tourne autour de moi, j’essaie de le chasser, pour rien, et je flotte dans les airs, affublé d’ailes immenses et dégoûtantes ; en bas, une petite fille hurle qu’elle veut les mêmes que moi – cette idiote me casse les oreilles; je descends, j’adresse un sourire mielleux à la gosse, la prends sur mon dos, sous le regard bienveillant de la maman, et je pars en flèche vers le ciel, j’enchaîne les loopings, l’autre hurle, vide ses tripes sur moi, mais je m’en fou, moi, je prends mon pied, et puisque je peux pas mourir, je deviendrai la terreur de ces saletés de mômes ; pas mal, ces ailes, merci, le moucheron.

Le livre oublié

1ère version avec uniquement les actions

Un matin à l’aube, après m’être réveillé en sursaut d’un cauchemar, mon père m’a rassuré puis emmené à travers les rues tortueuses de Barcelone. Nous sommes arrivés devant un portail en bois de ce qui ressemblait à un hôtel particulier abandonné.

Il m’a fait promettre de ne rien dire à personne de ce que j’allais voir.

Un homme au nez crochu et au regard d’aigle nous a ouvert la porte et nous a emmenés dans un couloir mal éclairé. Quelques minutes plus tard, nous nous sommes retrouvés au seuil d’une sorte de gigantesque basilique, avec un plafond en forme de dôme. Il s’y trouvait des centaines de bibliothèques chargées de livres.

  • Voici le cimetière des livres oubliés, m’a dit mon père. Chaque livre a une âme. Celle de celui qui l’a écrit et de ceux qui l’ont lu. Ce lieu est un mystère, un temple qui existe depuis très longtemps. Mon père m’y a emmené quand j’avais ton âge. Cet endroit protège les livres oubliés. Lorsqu’un ouvrage disparait, lorsque plus personne ne s’en souvient, nous, les gardiens de ce lieu, faisons en sorte qu’il y parvienne. Il attend là qu’un nouveau lecteur le découvres. Toi, Daniel, tu vas pouvoir en adopter un. Chaque personne qui vient ici pour la première fois peut choisir un livre pour qu’il reste vivant à jamais.

Pendant une demi-heure j’ai déambulé dans les couloirs de la bibliothèque. J’ai fini par trouver celui que j’allais adopter, au bout d’un rayon, qui était intitulé « L’ombre du vent » de Julian Carax.

Version 2

Un matin, après m’être réveillé en sursaut d’un cauchemar, j’ai vu mon père arriver en courant pour me rassurer. M’assurer que ma mère resterait à jamais dans son cœur. Qu’il avait de la mémoire pour deux. Je devinais son regard tourné vers le passé, tandis que le mien l’était vers l’avenir.

Il m’a fait lever. Tôt. Trop tôt pour un petit garçon comme moi. Dans la brume et les rues matinales, désertes de chats. Mais il est des choses que l’obscurité met en lumière. Qui se voient mieux la nuit.

Il m’a entraîné à travers la ville aux rues étroites et tortueuses, encore balbutiantes de sommeil. Nous sommes arrivés devant un portail en bois de ce qui ressemblait à un hôtel particulier abandonné. Il m’a fait promettre de ne rien dire à personne de ce que j’allais découvrir.

  • Pas même à ton meilleur ami.

Un homme aux cheveux gris  et au nez crochu a ouvert. Aucune émotion dans son regard d’aigle. Il nous a laissé passer, sans rien dire. Il connaissait mon père, savait pourquoi j’étais là, alors que je l’ignorais.

Le couloir mal éclairé résonnait des battements de mon cœur et de mes pas. La pénombre imprégnait mon corps de la magie de ces lieux. Soudain, une gigantesque basilique surgit à l’improviste, avec un plafond en forme de dôme et des centaines de bibliothèques gavées de livres jusqu’à l’indigestion. Elles couraient en un labyrinthe d’escaliers, de tunnels, de petits ponts et de couloirs.

  • Voici le cimetière des livres oubliés, a dit mon père.

Quelques silhouettes flottaient au hasard des rayonnages. Alchimistes des livres anciens, comme mon père, et magiciens, garants de secrets ignorés du monde.

Mon père m’a fixé avec intensité.

  • Chaque livre a l’âme de celui qui l’a écrit et de ceux qui l’ont lu. Ce temple des livres oubliés existe depuis très longtemps. Mon père m’y a emmené à ton âge. Lorsqu’un livre disparait, nous, les gardiens de ce lieu, faisons en sorte qu’il y parvienne. Il attend qu’un nouveau lecteur le découvre.

Il s’est arrêté un instant avant de reprendre :

  • Toi, Daniel, tu peux en adopter un. Choisis un livre pour qu’il reste en vie à jamais et t’accompagne.

J’ai déambulé dans le labyrinthe au hasard de ces orphelins en quête de parents. Perdu. Ne sachant lequel m’était destiné ou lequel m’avait choisi.  Soudain, je l’ai aperçu au bout d’un rayon avec sa reliure de cuir vieilli et ses lettres qui luisaient dans la pénombre. Il m’attendait. Je m’en suis approché et en ai lu le titre à voix basse : « L’ombre du vent » de Julian Carax.

Les mensonges des grands

Arthur est un petit garçon comme beaucoup d’autres. Il est très curieux et n’aime pas se coucher tôt, même s’il était fatigué. Il adore voir des films. Le soir, il n’a pas le droit de rester avec son papa et sa maman.

Parfois, il rejoint, dans sa chambre, Jessica, sa grande sœur de 15 ans. Ils regardent ensemble des films sur l’ordinateur, à l’insu de leurs parents. De temps en temps, ils s’inventent des aventures et ils jouent à espionner les adultes. Arthur est devenu très fort à ce jeu-là.

Un soir, alors qu’il n’arrive pas à s’endormir, il retrouve Jessica pour voir un film. A peine ont-ils commencé à le regarder que la sonnette à l’entrée tinte. Surprise, Jessica éteint l’ordinateur et tend l’oreille. Elle ouvre la porte de sa chambre tout doucement. Son frère se colle derrière elle.

  • C’est qui ?
  • Je ne sais pas.

Après un moment, Jessica referme la porte.

  • C’est la voisine d’en haut. Elle veut que papa aille chez elle.
  • Pourquoi ?
  • Je n’ai pas compris.

Jessica s’interrompt un instant, puis elle fait un clin d’œil à Arthur.

  • Ça te dirait qu’on les espionne ?

Content, Arthur frappe dans ses mains. Les deux complices rient. Ils enfilent leurs pantoufles. Au moment où ils entendent la porte d’entrée se refermer, ils sortent, sans se faire voir de leur mère qui regarde la télévision. Jessica laisse la porte d’entrée entrebâillée. Arthur glousse de plaisir.

La voisine, Mme Raman, habite tout en haut de l’immeuble. La sœur et le frère grimpent les marches sans faire de bruit. La porte de l’appartement est entrouverte. Jessica se faufile à l’intérieur, suivie d’Arthur. Ils entendent des éclats de voix dans la chambre à coucher. Ils se rapprochent et Jessica jette un coup d’œil dans la pièce.

Sur le lit, il y a un homme étendu, tout nu. Surprise, Jessica laisse échapper un rire nerveux. Son père, médecin, est en train de l’ausculter.

  • Il est mort, dit son père.

Jessica se retourne vers son frère. Elle est pâle.

  • Viens, on s’en va.
  • Qu’est-ce qu’il a dit ?
  • Rien.
  • Je veux voir, moi aussi.
  • Non, c’est pas possible.
  • Je veux voir, hurle encore Arthur qui échappe à sa sœur.

Il se précipite dans la chambre.

  • Qu’est-ce que vous faites là ? demande leur père, quand il voit ses enfants.
  • C’est ma faute, murmure Jessica.
  • Il a quoi le monsieur ? Pourquoi il est tout nu ?
  • Il est mort, murmure Jessica.
  • Mais non ! intervient vivement le papa. Il est juste un peu fatigué. Je vais le rhabiller et il se sentira mieux. Rentrez à la maison maintenant.

Jessica prend la main de son frère et l’entraîne.

Au moment où ils sortent de l’appartement, ils aperçoivent le mari de la voisine en bas de la cage d’escaliers.

  • Il faut que j’aille les avertir, chuchote Jessica.
  • Pourquoi ?
  • Parce que le Monsieur malade était tout nu sur le lit.
  • Je comprends pas.
  • Le Monsieur ne devait pas être là et le mari sera fâché.
  • Pourquoi ? Il ne l’aime pas ?
  • Je t’expliquerai plus tard.

Jessica retourne dans l’appartement, suivie d’Arthur. Son père et la voisine ont rhabillé l’homme. Ils sont en train de l’asseoir sur le divan, mais il tombe sans arrêt sur le côté. Ils essaient de le coincer entre des coussins.

  • Le mari de la voisine est dans l’escalier, intervient Jessica.

Alors que l’ami de la voisine s’incline lentement sur le côté, le papa d’Arthur le retient discrètement pour éviter qu’il tombe, tandis que le mari entre dans l’appartement. Il est surpris d’y trouver tant de monde.

  • J’étais chez moi, à discuter avec mon ami, médecin, ici présent, intervient le papa, quand votre femme m’a téléphoné. Elle n’était pas bien. Je me suis précipité pour l’ausculter. Votre femme s’est sentie mieux, mais mon confrère a fait un malaise. Pourriez-vous m’aider à le porter dans ma voiture ? Je vais l’accompagner à l’hôpital.

Arthur est stupéfait d’entendre son papa mentir. C’est vraiment étrange. Ses parents le grondent très fort, quand il dit des mensonges. Le monde des adultes est-il donc différent de celui des enfants ? Les mensonges des grands sont-ils moins importants que ceux des petits ? Le petit garçon ne peut s’empêcher de demander.

  • Pourquoi tu dis que le monsieur tout nu est ton ami ?

Le père d’Arthur devient tout blanc, tandis que l’homme sur le divan tombe lentement sur le côté. Jessica saisit son frère par la main et l’entraine hors de l’appartement.

  • Pourquoi papa a dit des mensonges ?
  • Le monde des adultes est plus compliqué que celui des enfants. Le Monsieur était le bon ami de la voisine. Son mari aurait été fâché s’il l’avait su.
  • Alors quand je serai grand je pourrai dire tous les mensonges que je veux ?
  • Non, mais parfois la vérité n’est pas toujours bonne à dire et fait plus de mal que les mensonges.

 

Hiver meurtier

 Je l’ai tuée. Je ne pouvais pas la laisser me faire ça.

Quand j’ai reçu l’appel de Saturnin il y a quelques jours, j’ai été surpris. Ça faisait un bail. Saturnin, c’est mon contact à la police et c’est aussi mon pote. Moi, je suis journaliste à la rubrique locale de mon canard. Un fait divers marrant pour moi qu’il m’a dit. Enfin marrant. Pas tellement. Deux vieilles qui ont été retrouvées mortes par le mari d’une des deux. J’avais pas trop envie de sortir. Il y avait un vent à décorner les bœufs et ça caillait. Mais ça faisait un moment que je n’avais pas trouvé de sujet original. Alors, j’ai sauté dans ma voiture.  C’était à 10 kilomètres de la rédaction. Dans une ferme un peu paumée.

Sur place, il y avait trois flics, dont mon pote qui est le chef. Le toubib était déjà parti.

Pour lui, tout était clair. La première femme, Raymonde, morte de plusieurs piqûres d’abeille. Elle était allergique. J’ai trouvé bizarre de se faire piquer par des abeilles en plein hiver. La deuxième, Agathe, crise cardiaque, quand elle a vu sa copine mourir. Les deux corps avaient été déjà évacués. Dans le salon, il y avait, debout dans un coin, le mari et le fils d’Agathe, Au pied du divan, un chien qui gémissait. Sur la table, une théière, deux tasses, des biscuits et des dattes. Saturnin s’approcha de moi.

— Qu’est-ce que tu en penses, Victor ?

— Qu’il faudrait faire soigner ce chien. Il a pas l’air bien.

— Votre clebs, c’est normal qu’il soit comme ça ? a demandé Saturnin au mari.

Philippe Tardi, le visage fermé, s’est approché puis agenouillé près du chien.

—Il a dû manger un truc qui passe pas.

C’est sa réflexion qui m’a mis la puce à l’oreille. Et si ce qui avait l’air d’un malheureux concours de circonstances n’en était pas un ? Quand un des agents a voulu boulotter un biscuit, mon pote l’en a empêché. Apparemment, il pensait comme moi.

Pour le cabot, c’était trop tard. Il a fini comme Agathe.

On s’est regardés, Saturnin et moi. Tout devenait soudain suspect. De coïncidences surprenantes, on passait à soupçon d’homicide. Et de veuf éploré, le mari devenait suspect. Le fils aussi.

— Il faudrait faire analyser ce qu’il y a sur la table, qu’il a dit à ses agents.

Évidemment, Saturnin a commencé par interroger le mari et le fils. Histoire de voir ce qu’ils avaient dans le ventre. Les questions habituelles, quoi. Philippe Tardi laissait entendre qu’il avait une vie de rêve à la campagne avec son fils Léonard. Il était viticulteur. A la ferme, il n’y avait qu’une employée de maison. Le fils vivait là. Il était apiculteur et possédait une dizaine de ruches. Quand Saturnin lui a demandé pour les abeilles, il a dit qu’elles ne quittaient pas les ruches. Trop froid.

— Et comment ça se fait que, comment elle s’appelle déjà, l’autre femme… ?

— Raymonde ?

— Oui, c’est ça. Comment ça se fait qu’elle se soit fait piquer ?

— Je ne sais pas.

Raymonde était une amie d’Agathe. Elle l’avait rencontrée, quand elles étaient étudiantes. Puis elles s’étaient perdues de vue. La première avait terminé ses études et avait fait carrière. La seconde s’était mariée et était restée femme au foyer. Elles se sont retrouvées un an auparavant, par hasard.

Je les ai observés, le père et le fils, pendant l’interrogatoire. Ils avaient l’air mal à l’aise. Ils cachaient quelque chose. Leur vie idéale ne l’était peut-être pas tant que ça. Quand on a interrogé l’employée de maison, on en a eu la confirmation.

— Madame et Monsieur ont toujours été bien avec moi. De temps en temps, ils se disputaient. Comme tout le monde. Et le fils. Toujours poli.

— Ces derniers temps, vous n’avez rien remarqué de différent ? a demandé Saturnin.

— Je sais pas… Un jour Madame a donné une gifle à Monsieur. C’était la première fois.

— Vous savez pourquoi ils se disputaient ?

— Non, j’écoute pas.

J’ai trouvé le moyen de la tuer, sans me faire prendre.

On a attendu deux jours pour l’analyse du goûter. C’était les dattes qui étaient empoisonnées. Évidemment, on en a déduit que le mari était coupable. Saturnin est retourné l’interroger. Tardi a admis les disputes, mais il a juré – croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer – qu’il l’avait pas tuée. Il a dit qu’elle était jalouse, parce qu’il discutait avec sa copine, Raymonde.

— Vous étiez amants ? a demandé mon pote.

Il n’a rien répondu. Mais c’était clair. Il avait l’occasion et le mobile. Sa femme avait tout deviné et lui, il voulait changer d’air. Pas de bol, sa maîtresse meurt, piquée par une abeille. Il n’a pas pu profiter de son crime. Fin de l’histoire. Saturnin l’a embarqué. Il l’a encore cuisiné quelques jours, mais le bougre n’a rien avoué.

J’ai quand-même commencé à écrire mon article. Sans conviction. J’étais encore loin de l’avoir terminé quand Saturnin m’a appelé.

— C’est pas lui qui l’a tuée.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Les dattes. Elles ne viennent pas d’un supermarché standard, mais d’un petit magasin bio en ville. Et, il n’y est jamais allé. C’est la propriétaire qui m’a dit. Elle connait tous ses clients. Par contre, quand je lui ai montré la photo de Raymonde, elle l’a tout de suite reconnue. C’était une cliente régulière.

— Ce serait elle la coupable ?

— Peut-être. Mais on n’en sait rien. Probable qu’elle a toujours été amoureuse de lui. On a fouillé son appartement et on a rien trouvé. Aucune preuve.

— Après tout c’est pas important. De toute manière, Raymonde ne sera jamais jugée… »

Elle m’a dit qu’elle était allergique aux piqûres abeilles. C’était simple. Il m’a suffi d’en transporter quelques-unes à l’intérieur. Elles ont fait le travail. Je ne pouvais pas prévoir que Raymonde avait eu la même idée que moi. Elle a choisi le poison. Pas très subtil. C’est elle qui a laissé tomber Philippe il y a 45 ans. Je me demande bien pourquoi, si c’était pour me le reprendre. Elle ne pouvait pas m’en vouloir de l’avoir épousé. Au lieu de finir ma vie avec mon mari, je vais souffrir l’enfer éternel en compagnie de cette voleuse d’homme.

Incompatibles

Quand ma fiancée m’a présenté sa meilleure amie, Julie, j’ai tout de suite pensé qu’elle était faite pour mon pote, François. Elle est jolie, intelligente, drôle et ne se prend pas au sérieux. Jolie, c’est pas trop important, parce qu’il est aveugle. Mais il est essentiel qu’une femme sente bon. Comme Julie. Cependant, elle a un défaut: sa voix. Julie est sourde de naissance et elle porte un appareil auditif. Du coup, elle parle bizarrement.

Pour surmonter cet écueil, je leur organise un rendez-vous près d’une cascade. Pour atténuer l’effet de sa voix. Curieux, je me cache derrière un rocher, pour voir si ma stratégie fonctionne.

Julie ouvre la bouche, dit à peine quelques mots que je vois mon François se raidir. C’est tout juste s’il ne se bouche pas les oreilles. C’est un fiasco. Quand elle lui demande : « qu’est-ce que vous en pensez » et qu’il répond : « Moi non plus je n’aime pas les gens qui crachent sur le trottoir », j’ai honte pour lui. Elle lui parlait de ses études de philosophie.

Quand je retrouve François un peu plus tard, il reconnaît l’échec de cette première rencontre.

– Je suis désolé, mais franchement, elle crachait ses phrases, comme si elles la dégoûtaient. Je n’ai pas réussi à l’écouter. Le pire, c’est cette cascade qui amplifiait tout.

Là, j’avais merdé… moi qui croyais que ça aiderait… Il n’ose pas me raconter les détails. Finalement, je lui avoue qu’elle est sourde. Quand il réalise sa méprise, il pâlit. C’est tout juste si je ne dois pas le retenir de tomber. Et moi qui en rajoute une couche :

– Fais un effort ! Elle est géniale.

Évidemment, il accepte de la revoir. Par contre, je suis moins sûr que Julie soit d’accord.

Elle a certes flashé sur François, mais ne veut plus en entendre parler. Ma fiancée finit par l’amadouer en lui racontant qu’il est sujet à des angoisses soudaines et qu’il s’enferme parfois dans son monde, en pensant à sa mère décédée, mais qu’il est vraiment génial.

Cette fois, le lieu de rencontre est le jardin de la maison de mes parents. Tranquille, sans bruit parasite.

Sauf qu’un rossignol se met à chanter quand Julie ouvre la bouche. L’horreur. Le contraste est trop fort. Caché derrière un arbre, un peu plus loin, je vois mon pote se contorsionner, tiraillé par l’envie d’entendre l’oiseau chanter et celui de se boucher les oreilles, à cause de Julie. Ils sont vraiment incompatibles.

Je songe à m’éclipser, quand Julie s’interrompt au milieu d’une phrase. Elle a dû, elle aussi, réaliser l’attitude de François. Je la vois fouiller dans son sac. J’imagine le pire. Un crime passionnel avant la passion. Elle va sortir un pistolet, je veux me précipiter pour protéger mon ami au péril de ma vie, quand je la vois dégainer son téléphone portable. Elle tape sur le clavier à toute vitesse. Est-ce qu’elle a compris que François est aveugle et ne pourra pas lire son message ? Quand elle a terminé, elle enclenche le lecteur vocal. Je dois admettre que la voix mécanique est nettement plus agréable que la sienne. « Je sais que ma voix est bizarre. Je pensais qu’avec vous ce serait différent. Mais c’était stupide. Cela ne pouvait être que pire. » Des larmes dégringolent silencieusement le long de ses joues. François ne dit rien. Elle s’apprête à partir, mais il la retient pas le bras. Il hume son parfum, avance sa main vers son visage, l’explore du bout des doigts, goûte ses larmes, puis dépose un baiser léger sur ses lèvres.

– J’inventerai pour vous un appareil qui rendra votre voix plus belle que celle du rossignol.

Elle sourit comme un arc-en-ciel à travers ses larmes. Je sais que François tiendra parole, car il est à la fois informaticien et musicien.

Jonathan Livingston le Goéland (resserrement)

Jonathan (2ème version)

Le soleil n’était pas encore levé quand les bateaux de pêche quittèrent le port. Mille goélands se précipitèrent à leur suite pour se disputer les restes de poisson que les pêcheurs rejetaient à l’eau.

Quelques centaines de mètres plus loin, un goéland ne participait pas au petit déjeuner matinal. Lui, ce qui l’intéressait avant toute chose, c’était de voler. Inlassablement, il testait différentes techniques de vols. Jonathan montait de plus en plus haut, puis descendait en piqué pour augmenter sa vitesse. Incapable de contrôler son vol, il finissait toujours par décrocher et tomber comme une pierre dans l’océan.

Un jour, après l’une de ses nombreuses tentatives infructueuses, désespéré, alors qu’il songeait à renoncer, une idée surgit dans son esprit. C’est évident, il me suffit de réduire la taille de mes ailes, avant de piquer ! Une telle découverte changera la vie de la tribu. Jonathan en était certain. Testant sa nouvelle technique, il manqua de percuter un groupe de goélands réunis autour d’un bateau de pêche.

Quand il atterrit un peu plus tard et découvrit tous les goélands rassemblés en cercle sur la plage, Jonathan pensa qu’ils allaient le féliciter pour ses prouesses.

– Jonathan, place-toi au milieu du cercle en signe de honte.

Le jeune goéland crut avoir mal entendu. N’ont-ils pas vu de quoi je suis capable ? Ne comprennent-ils pas que la vie des goélands va changer grâce à mes découvertes ? Personne ne l’écouta. Triste, frustré, il quitta son clan et se dirigea vers les falaises lointaines, où il devait s’exiler.

Durant tout le reste de sa vie, Jonathan continua à améliorer ses capacités de vol, pour son propre bien-être. Il vivait en solitaire, mais heureux. Son seul regret : ne pas avoir pu partager ses découvertes.

Un soir, deux goélands magnifiques et lumineux surgirent à ses côtés pour l’aider à quitter sa vie terrestre vie. Ils grimpèrent de plus en plus haut pour rejoindre un nouveau monde. Le corps de Jonathan changea pour devenir aussi brillant que ceux de ses accompagnateurs. Ils le laissèrent sur une plage où une douzaine de goélands s’exerçaient à voler. En les voyant, Jonathan réalisa qu’il avait encore beaucoup à apprendre.

Pendant un certain temps, vivant l’exaltation de nouveaux apprentissages, il oublia sa vie terrestre et le clan qui l’avait exclu. Jonathan progressait rapidement. Peu à peu, il comprit qu’il n’était pas au paradis, comme il l’avait cru en arrivant. Prenant son courage à deux pattes, il s’en alla retrouver Chiang, l’Ancien, pour lui demander ce qu’était le paradis.

– Le paradis n’est pas un lieu. C’est un état intérieur de perfection. Mais sache que ni le temps et ni l’espace n’existent. Tu imagines qu’il y a des limites à la vitesse, alors qu’il n’y en a pas.

Sur ces mots, Chiang disparut pour apparaître cent mètres plus loin, puis revenir de la même manière près de Jonathan, stupéfait. Immédiatement, l’apprenti goéland voulut apprendre cette nouvelle technique.

– Il suffit de t’imaginer là où tu le souhaites. Tu ne dois pas te laisser limiter par ton corps.

Pendant des jours et des jours, Jonathan s’exerça. Il restait debout sur la plage pendant des heures, les yeux fermés. Mais rien ne se passait.

Puis un jour, il comprit soudain l’être parfait qui sommeillait en lui. Quand il rouvrit les yeux, il se trouvait dans un autre monde, avec Chiang à ses côtés. Heureux.

Jonathan continua à travailler avec son maître la vitesse absolue, cherchant à atteindre plus précisément les lieux visés. Puis il se mit à étudier la bonté et l’amour.

Cependant, au fur et à mesure qu’il pratiquait cet art, il songeait à son ancien clan. N’y aurait-il pas là-bas un goéland qui avait soif d’apprendre à voler et qu’il pourrait aider ?

Fletcher le goéland volait à tire d’ailes vers les falaises lointaines. Triste, humilié. Les autres goélands n’ont pas compris l’importance du vol. Il a été exclu injustement. Comment peuvent-ils être aussi bornés ?

C’est alors qu’il perçut une voix résonnant dans sa tête. A ses côtés volait un magnifique goéland.

– Veux-tu apprendre à voler et retourner aider les tiens ensuite ?

Fletcher, sans hésiter, suivit Jonathan, heureux d’apprendre.

Bientôt cinq autres élèves se joignirent à Fletcher pour apprendre les techniques de vol les plus pointues, sous la direction inflexible, mais remplie de bonté, de Jonathan. Chaque soir, après l’entrainement, Jonathan leur parlait encore.

– Le vol est un moyen d’atteindre sa véritable nature.

Parfois, il leur parlait d’amour, de leur corps qui n’était qu’une projection de leur pensée. Mais ils ne le comprenaient pas.

Après quelque temps, Jonathan décida de retourner vers le clan avec ses élèves.

Lorsque les sept goélands atterrirent sur la plage, les anciens interdirent à quiconque de leur adresser la parole et de les approcher.

Durant la nuit cependant, quelques jeunes oiseaux s’approchaient des nouveaux venus pour écouter Jonathan. Au matin, ils s’en allaient rejoindre le reste du clan, comme si de rien n’était. De jour en jour, le groupe des auditeurs s’agrandit. Plus aucun goéland ne se cachait.

Jonathan expliquait les techniques de vol, mais parlait aussi de liberté et de perfection.

Fletcher se mit à enseigner à son tour. Le soir, après les cours, il retrouvait son ami Jonathan pour discuter et raconter ce qui se disait de lui dans le clan.

– Tu serais le fils du Grand Goéland lui-même.

Peu de temps après cet échange, Jonathan, estimant Fletcher prêt à reprendre le relais, s’envola vers de nouveaux horizons pour aider d’autres exclus.

Seul, face à ses élèves, Fletcher commença :

– Il faut que vous compreniez d’abord que l’objectif ultime du vol est de découvrir le véritable goéland qui est en vous, que votre corps n’est que la projection…

Fletcher s’interrompit. Les jeunes goélands n’étaient pas encore prêts à entendre ce message. C’est à ce moment-là qu’il comprit que Jonathan n’était pas plus d’essence divine que lui-même et que la liberté totale était en chacun.

Un spectacle hors de prix

– C’est bon, ils sont partis.

Un peu nerveux, Bambi sort de sa poche la clé que Minouche lui a remise. Il l’introduit dans la serrure de la portière de la Mercedes qui s’ouvre sans difficulté. Sa sœur ne s’est pas trompée de trousseau. Elle entre du côté passager. C’est la première fois qu’elle met les pieds dans une voiture aussi classe. Le comble pour elle qui travaille dans un garage pour clients friqués.

Bambi fait démarrer la voiture.

A l’approche de la Tesla, un employé s’avance pour ouvrir la portière. Une femme sort du côté passager, jette un regard autour d’elle, et note avec satisfaction les regards envieux des personnes aux alentours. Elle a bien fait d’insister pour venir avec la Tesla. Plus original, plus écolo. Son mari remet les clés au voiturier. L’organisateur du vernissage s’approche du couple à petits pas pressés. Le couple est connu pour être dépensier, lorsqu’il s’agit de peintures. Il l’est nettement moins pour des causes éthiques.

– L’artiste est un véritable génie. En plus, il fabrique lui-même ses pigments, déclare sentencieusement le maître des lieux.

Monsieur de Saussure quitte le petit bonhomme obséquieux. Son bavardage l’insupporte. Son unique objectif : choisir les peintures dont il deviendra l’acquéreur et investir son argent à bon escient. Il a toujours eu le nez pour trouver des œuvres qui prennent de la valeur. Sa femme préfère les mondanités.

Bambi roule lentement. Ce serait bête de se faire arrêter pour excès de vitesse. Direction : la mer. Minouche en rêve depuis longtemps.

Il a une tendresse particulière pour sa sœur. Elle avait 16 ans, lorsque leurs parents sont décédés. Dans un accident de voiture, justement. Lui en avait 19. La rupture fut brutale. Leur oncle recueillit Minouche, à qui il trouva un poste d’apprentissage d’employée de commerce dans un garage. Pas de place pour Bambi, qui était majeur, et fut contraint de se débrouiller tout seul. Il dénicha une place de maçon dans une entreprise de construction, mais en a été licencié six mois auparavant, pour cause de restructuration.  Le jour de ses 18 ans, Minouche était venue habiter avec son frère, dans son minuscule studio insalubre. De l’héritage de leurs parents, il ne reste rien. Leur oncle a tout dépensé. Pour eux, soi-disant. Ils n’ont pas su se défendre.

Une heure plus tard, ils arrivent en bord de mer. Leur vie va changer à présent, c’est sûr.

Bambi parque la voiture sous un arbre, au bord de la plage.

  • Je vais tremper mes pieds dans la mer. Tu viens ?

Sans attendre la réponse de son frère, Minouche enlève ses chaussures et se précipite sur la plage. Bambi savoure l’insouciance de sa sœur, mais il est un peu inquiet et il reste dans l’auto. Il a tout misé sur une idée. A-t-il raison ? Ils ont encore le temps de ramener la Mercedes, sans qu’ils s’en aperçoivent. Il en est là de ses réflexions, quand une voiture de police se range juste derrière lui. Deux policiers en sortent.

  • Bonjour jeune homme, vous avez une bien belle voiture !

Le couple de Saussure est très satisfait de sa soirée. Monsieur a repéré quelques toiles prometteuses. Madame a récolté quelques ragots, nécessaires à sa survie dans la société huppée qu’elle fréquente depuis son mariage.

Quand ils arrivent chez eux, passablement éméchés, vers une heure du matin, et s’aperçoivent de l’absence de leur Mercedes, ils perdent instantanément leur humeur joyeuse. Un modèle ancien, dont ils sont particulièrement fiers. Ils font plusieurs fois le tour du pâté de maison. En vain. Madame ira annoncer le vol le lendemain à la police.

Bambi reste tétanisé. Il se voit en prison. Terminés, les rêves de fortune. Comme il ne répond pas, un des gendarmes insiste.

  • Vous avez les papiers de la voiture ?

Minouche accourt, pieds nus, ouvre la boite à gants et en extrait la carte grise de la Mercedes.

  • Elle est à nos parents.
  • Votre nom ?
  • Amina de Saussure, réplique la jeune fille sans hésitation, et avec un aplomb qui surprend son frère.
  • Vos papiers d’identité.

Minouche fait mine de fouiller dans son sac fourre-tout. Les gendarmes échangent un regard, quand la radio de leur voiture grésille.

  • Vol à main armée en cours. Répondez.

Les deux policiers rendent la carte grise, puis se précipitent vers leur véhicule.

Le lendemain matin, le couple de Saussure découvre avec plaisir que leur Mercedes est revenue, accompagnée d’un mot sur le pare-brise. « Nous avons été contraints d’emprunter votre voiture. Un cas d’urgence. Pour vous dédommager de ce désagrément, nous vous offrons deux places de spectacle. »

Deux semaines plus tard, Madame et Monsieur de Saussure se préparent pour le grand soir. Smoking. Robe longue, noire, agrémentée de paillettes. Maquillage discret. Les emprunteurs ne se sont pas moqués d’eux. La pièce est jouée par des acteurs connus et les places sont idéales. Cette fois, ils choisissent la Mercedes. Nul besoin de faire croire à leur engagement écologique.

A 21 heures, deux ombres se glissent à l’intérieur de la maison des de Saussure, après avoir brisé une vitre.  Pas de risque de se faire agresser par un chien. Madame déteste les animaux et elle s’en est vantée auprès du garagiste. Pas d’alarme non plus, ni coffre-fort. Ils viennent d’emménager et installeront le tout dans deux jours. « Vous n’avez pas peur qu’on vous cambriole ? » avait demandé le garagiste à Mme de Saussure. « Personne ne sait qu’on n’a pas encore d’alarme. A moins que vous… » Ils avaient ri. « De toute façon, personne ne chercherait notre argent et nos bijoux, là où on les a cachés. » Minouche n’avait pas perdu une miette de cet échange.

Le frère et la sœur ont quatre heures devant eux pour trouver la cachette improbable. C’est Minouche qui la découvre. Au-dessus d’une armoire, dans une grosse valise.

Les deux jeunes quittent le domicile des de Saussure, deux heures avant leur retour, non sans avoir accroché à leur porte une enveloppe. C’est Bambi, grand admirateur d’Arsène Lupin, qui avait insisté pour l’écrire. Cela fait classe.

« Nous espérons que vous avez apprécié le spectacle. »

Coussin et coussinets

Il y a longtemps, quelque part au fond du néant, Dieu rêvassait, couché sur le coussin que sa femme lui avait façonné. Déesse, son épouse, était somptueuse. Il l’adorait, mais elle l’agaçait prodigieusement. Elle était hyperactive, il préférait paresser. Elle passait son temps à modifier leur lieu d’éternité, il n’aimait pas le changement. Elle imaginait sans cesse de nouveaux objets, il détestait la nouveauté. Il n’aurait rien trouvé à redire, si au moins, elle le laissait tranquille. Mais elle le bousculait perpétuellement.

Un jour, exaspéré par son énergie bouillonnante, il sortit de son flegme légendaire. Il hurla contre Déesse, qui, surprise par un tel débordement, courut s’enfermer dans l’atelier qu’elle s’était créé. La rage de Dieu fut telle qu’elle fit exploser le néant en un nombre infini de parcelles de matière. C’est ainsi qu’il créa les étoiles et les planètes. Malgré lui. Sans y penser. Épuisé par cet accès de colère, il retourna s’étendre sur sa couche. Toutes ces étoiles lumineuses au milieu de la nuit et la terre blanche, toute proche, au cœur de l’obscurité sidérale, l’invitaient à la rêverie.

Déesse n’était pas ressortie de son atelier depuis le big-bang marital impromptu. Au début, il ne s’en inquiéta pas, trop heureux d’avoir gagné un peu de paix. Elle boudait sûrement. Elle n’avait pas apprécié qu’il se fâchât contre elle. Pas grave. De toute façon, il était bien plus tranquille sans elle.

Le temps passa. Déesse ne réapparaissait pas. Il commença à bouillir intérieurement. Elle exagérait. Mais, comme il avait peur des conséquences d’une nouvelle colère, il se maîtrisa. Les jours, les semaines s’écoulèrent. Toujours aucun signe de son épouse. Elle lui manquait. Il regrettait son hyperactivité et n’avait plus autant de plaisir à paresser, sans elle à ses côtés. Sa fierté, pourtant, lui interdisait de faire le premier pas. Combien d’objets inutiles avait-elle encore pu créer ?

Incapable de rester tranquille pour la première fois de son éternité, Dieu marchait de long en large devant la grande baie vitrée qui donnait sur la Terre, voisine. De temps en temps, il y jetait un coup d’œil. Elle était blanche. Trop. Son regard tomba sur les bols de couleurs que sa femme avait inventés un jour. Et s’il lui mettait un peu de couleur, à la Terre ? Déesse serait contente qu’il utilisât son invention et lui pardonnerait sa colère. Il prit des pots de bleu et les jeta dans sa direction.  La teinte océane s’étala de façon non uniforme autour du globe. C’était bien plus joli. Oubliant d’un seul coup son orgueil, il alla gratter à la porte de l’atelier. Il fallait absolument que Déesse voie ça !

  • Ouvre vite. Viens voir ma création.

Déesse exigea des excuses, avant de se décider à venir contempler son œuvre.

  • Elle est très bleue, ta Terre… Un peu trop…

Déçu, Dieu se remit à l’ouvrage. Quelques pots de peinture plus tard, il se précipita vers l’atelier de sa femme.

  • Viens voir ! C’est beaucoup plus joli maintenant !

Déesse, bien que légèrement agacée, sortit de son atelier, considéra la Terre un instant.

  • Alors, qu’est-ce que tu en penses ? J’ai rajouté du brun, du vert, du jaune et même du rouge.
  • C’est bien. Mais cela manque de vie.
  • De vie ?

Perplexe, Dieu retourna se coucher sur son coussin pour réfléchir. Dieu était vie, Déesse était vie. Comment pourrait-il rendre vivante sa peinture ? L’idée était séduisante. Pendant des jours, il chercha l’inspiration tout en fixant le globe terrestre de ses yeux félins. L’intensité de son regard réchauffa le cœur de la Terre. Sa surface devint humide, le bleu devint océan, le gris, rocher, le rouge, volcan, le vert et le brun, végétal. Dieu comprit alors ce qu’il manquait à sa Terre et se remit au travail. Il détacha des morceaux de boue de la surface terrestre et façonna de petites créatures. Sans réfléchir. Sans relâche. Lorsqu’il en eut suffisamment, il souffla sur les unes et les autres, et chacune se mit en mouvement, respirant le parfum de la vie. Elles seraient capables de proliférer, seules, et de s’adapter à leur environnement, sans qu’il ait à s’en occuper.

Très content de lui, Dieu retourna voir son âme sœur.

  • Cette fois-ci, tu vas être fière de moi.

Déesse ouvrit la porte qu’elle s’empressa de refermer derrière elle. Surpris de son attitude, Dieu ne lui fit néanmoins aucune réflexion, tant il était pressé de montrer son chef-d’œuvre à Déesse, qui, cette fois-ci, se montra impressionnée. La Terre de Dieu était belle.

  • Il y manque encore quelque chose, mais c’est moi qui vais m’en charger.

Dieu supplia de lui dire ce qu’elle voulait y rajouter, mais Déesse refusa de lui répondre.

Pendant des semaines, elle travailla dans son atelier. Et tous les jours, Dieu grattait à sa porte pour qu’elle le laissât entrer. Mais elle s’y refusait. Au début, Déesse lui répondait avec douceur, un sourire dans la voix, lui demandant de patienter. Au bout de quelques jours, elle renonça à lui parler. Il eut beau pleurnicher, gémir, grogner, menacer, elle restait inflexible. Il finit par croire qu’elle ne lui ouvrirait jamais. Avait-il seulement rêvé cette merveilleuse compagne hyperactive ?

Alors, quand un jour, la porte de l’atelier s’ouvrit devant lui, sans qu’il l’ait demandé, il en fut si surpris qu’il n’osa pas franchir le seuil. Déesse, plus belle que jamais, le regardait avec toute l’intensité de son regard émeraude.

  • Ferme les yeux.

Docile, Dieu obéit. Elle le poussa gentiment à l’intérieur de son atelier.

  • C’est bon, tu peux les ouvrir.

Lentement, il entrouvrit les paupières et quand il découvrit l’œuvre de sa femme, des larmes se mirent à couler de ses yeux pour la première fois de son éternité. Elle avait façonné son portrait. Était-il donc si beau ?

  • Il manquait à ta Terre un être qui soit à ton image.

Dieu saisit la créature entre ces mains et lui insuffla la vie.

  • Tu auras sept vies, ainsi que tous tes descendants, murmura Dieu.

Et comme il voulait avoir le dernier mot, il créa l’être humain pour servir le chat.

Satisfait, il retourna se coucher sur son coussin.

Consigne

Cette consigne avait pour objectif de varier les tournures de phrases, leur rythme, leur longueur et les formes de l’énonciation, de manière à viser des émotions différentes, en utilisant des procédés littéraires variés.

Il s’agissait donc de ré-écrire et réinventer à sa façon un extrait d’un des Contes glacés de Sternberg, intitulé « Les exclaves ». C’est la conclusion que j’ai gardée, à savoir que l’être humain avait été créé pour servir le chat.