Il y a toujours un ailleurs pour nous accueillir

Embusquée derrière un rocher, Lola attend que la lune paraisse. Son amie est en retard. Avait-elle l’intention de lui faire faux bond ? Louna sait pourtant qu’elle et les siens ont besoin d’un de ses rayons chaque soir.

Depuis l’enfance, la jeune femme se sait différente des autres êtres humains dont le génome est pérenne, contrairement au sien. Ses gènes, à elle, peuvent muter à n’importe quel moment. C’est d’ailleurs grâce à une de ces mutations qu’elle est devenue capteur de rayon de lune et qu’elle est restée en vie. Sans cela, elle aurait été plantée dans le champ des néants, comme tous ceux dont le génome est instable.

La lune paraît soudain. Brillante. Fascinante. Lola hésite un instant, s’imprègne de cette vision de lumineuse beauté. A chaque fois que Lola se saisit d’un de ces rayons, son amie souffre. Et elle déteste ça. Plus tard, à l’insu de tous, elle ira panser sa plaie.

  • Désolée, murmure-t-elle à l’intention de son amie.

Cachés un peu plus loin, les membres de sa tribu l’observent et attendent. Aucun des membres de sa tribu ne soupçonne ses liens d’amitié avec Louna.

D’un mouvement rapide, Lola déroule ses pouces géants en direction des rayons lunaires. Elle en attrape un et l’attire sur la Terre. Instantanément, de l’eau jaillit du sol desséché. Hommes et femmes se précipitent sur la petite mare. Écœurée, la jeune femme s’éloigne de ses congénères, après avoir bu une gorgée du précieux liquide. Ces êtres obscurs et filiformes, qui lui ressemblent, la dégoûtent. Ils l’exploitent sans vergogne et elle sait qu’il la déteste, elle et son don. Ils ont peur qu’elle se transforme encore et qu’elle obtienne de nouveaux dons susceptibles de leur nuire.

Lola pense une fois de plus à sa grand-mère et à leur dernière conversation. Avant que Lola ne se lie à Louna.

Elles étaient sorties de la grotte à l’aube et s’étaient éloignées du camp. Son aïeule lui avait raconté la nature et les forêts. Les lacs et les océans. La pluie, la neige et les nuages. Ses yeux brillaient d’un éclat particulier. Elle en parlait comme d’un paradis.

  • Le besoin de pouvoir de quelques humains a rendu la Terre malade. Elle est devenue aride à force de pleurer. Comme tu la vois maintenant. Même son cœur de feu s’est éteint. Et nous sommes devenus semblables à nos smartphones. Des clics par-ci par-là, des clics sans fin.

Lola n’avait pas osé l’interrompre. Elle ne savait pas ce qu’était un smartphone.

  • Avant, les êtres humains étaient de chair et de sang. Les hommes et les femmes se désiraient, ils faisaient l’amour, ils s’aimaient.

Elles n’avaient entendu qu’au dernier moment des membres de la tribu qui approchaient. Sa grand-mère l’avait poussée derrière un rocher pour la protéger. Impuissante, la jeune fille les avait vus l’emmener dans le champ des néants. Elle les avait suivis de loin. Juste avant d’être recouverte de terre, sa grand-mère avait hurlé à son intention :

  • Il y a toujours un ailleurs pour nous accueillir.

Les siens l’avaient saisie par les pieds et avaient planté sa tête dans le sol, sans ménagement. Lola avait vu ses bras et ses jambes s’agiter dans les airs un instant, avant de s’immobiliser. A côté de milliers d’autres. Drôle de culture. Lola s’était éloignée et avait poursuivi sa vie quotidienne sans rien laisser paraître.

Mais une nuit, peu de temps après la perte de sa grand-mère, alors qu’elle pleurait au sommet de la colline en regardant les étoiles, la lune avait tendu l’un de ses rayons vers elle pour sécher ses larmes. L’astre s’était décroché de la voûte céleste pour s’installer à ses côtés. Lola venait de comprendre que la lune était un être vivant. Les nouvelles amies s’étaient chuchoté des secrets, des espoirs et des beautés à l’oreille. Elles étaient devenues complices. Au début de la nuit, elles se retrouvaient toujours. Juste après la chasse. Lola soignait sa plaie, puis elles discutaient, tandis que Louna grimpait peu à peu dans le ciel. Elles savaient aussi communiquer par la pensée.

Un hululement tire Lola de ses rêveries. C’est le signal du chef de la tribu pour retourner à la caverne. Les autres ont fini de boire, laissant la mare, vide. Elle les laisse partir et lorsqu’elle est sûre qu’ils ne peuvent plus la voir, elle se précipite vers la colline sur laquelle Luna l’attend. Ronde, somptueuse, lumineuse. Lola prend un peu de terre mélangée à une herbe sèche dont elle enduit la blessure de son amie.

  • Que tu es belle, murmure la jeune femme.

Elle effleure sa surface bosselée du bout des doigts.

  • Viens avec moi, répond la Lune. De là-haut, les clairs de terre sont magnifiques.
  • Et comment j’irai là-haut ?
  • Je t’envelopperai d’un de mes rayons.

Mais Lola a peur de l’inconnu. De ne pas être compatible avec d’autres êtres différents d’elle.

Le lendemain, comme la veille, Lola se cache derrière un rocher et attend que Louna se réveille. Cette fois encore, elle est en retard. La jeune fille pressent soudain que son amie ne lui a pas tout dit. Préoccupée, elle se saisit néanmoins du rayon de lune que Luna lui tend. Elle frissonne à son contact. Quelque chose est différent. Entre ses pouces, le rayon est plus froid, plus sec, plus terne.

Quand Lola rejoint son amie plus tard, elle la trouve moins brillante, moins voluptueuse. Louna l’exhorte, encore une fois, à l’accompagner. Mais Lola hésite. Son amie insiste, tandis qu’elle s’éloigne de la Terre.

  • Je ne reviendrai plus, murmure-t-elle pour finir.

Lola l’entend à peine, mais a perçu l’urgence dans sa voix.

  • Les hommes du futur disparaitront pour que la Terre guérisse. Et moi, je vais rejoindre une autre galaxie.

La jeune femme sent son cœur se briser. Elle voudrait lui poser des questions, mais elle doit se décider. Vite. Sans savoir ce qui l’attend. Laisser son cœur la guider. Alors que la Lune est déjà hors de portée, la jeune femme hurle dans la nuit :

  • Attends-moi.

Louna redescend. Enveloppe Lola d’un de ses rayons d’amour et l’emmène au pays des étoiles pour y retrouver ses ancêtres et renaitre à nouveau.

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