Le premier caramel

Le premier caramel est toujours le meilleur. Les autres bouchées ne sont que la répétition de la première. Une suite addictive, écœurante de bonbons trop sucrés que l’on mange sans pouvoir s’arrêter. Un plaisir banalisé au fur et à mesure que les carrés disparaissent de la coupe. Le dernier, à la rigueur, retrouve une vague saveur, parce qu’il est seul. Et encore… Le ventre alourdi, des sueurs froides dégoulinant sur le front, les mains tremblantes d’hyperglycémie. Fin de partie.

Mais le premier… on l’anticipe, on le salive, bien avant de le porter en bouche. On perçoit sa texture à travers le sachet. Sa consistance et sa teinte beige clair. Fébrile, on ouvre l’emballage. Qui bruisse. On le déchire pour remplir la coupelle préparée sur la table. On contemple ce petit monticule de douceurs. Promesse de feux d’artifice gustatifs. Onde de sérénité. La main s’avance pour se saisir du premier caramel. Elle hésite. Choisit le plus gros. Elle s’approche des lèvres avides. Pour prolonger le plaisir, un peu sadique. Du bout des dents, on détache un petit morceau. Déjà, sur le bout de la langue, sa consistance, sa douceur imprègnent les papilles gustatives. A la fois tendre et rugueux. Puis sous l’eau à la bouche, se délite et se répand. Écrasé, entre la langue et le palais. Fondant, disparaissant peu à peu, tout en diffusant sa bienveillante suavité. Délice qui s’étend, se détend, se prolonge jusqu’au dernier grain de sucre crémeux. On cligne de bien-être. Lentement. De satisfaction. De plaisir. Enfin. Ce premier caramel, on le déguste avec impatience. On se laisse croire que le suivant sera aussi délicieux. Porteur de bonheur. Tout est en lui. Ce petit cube, juste ce qu’il faut aux papilles. Un seul et unique. Un instant d’infinie douceur. Hors du temps déjà dépassé. Le plaisir est derrière. Révolu.

On contemple la coupe remplie de ces petits carrés de bonheurs gras et sucrés. On veut y découvrir une nouvelle promesse. Faux-semblant, douceur piquante, tendresse dégoulinante de crème. On regarde le sachet délaissé à côté de la coupe. L’autocollant de la confiserie de renom invite à la dégustation. On cherche à retrouver l’impatience du début. Le moment où les doigts décollent fébrilement l’étiquette. Cet instant où l’on verse tous les bonbons dans la coupe. Avalanche de rochers sableux. Cascade doucereuse. Ce moment ou l’on porte le premier caramel à ses lèvres. On voudrait retrouver cette salivation sans autre pareil. Cette eau magique, gage d’éternel heureux. Fontaine de bien-être et de délice infini. Mais devant la coupe encore à moitié pleine, le chercheur de ce Graal d’étrange sérénité se précipite sur les bonbons écœurants. Avide de retrouver le premier instant, la première impatience. Déçu. Pressé. Illusion du renouveau absent. De ce bien-être usé. Plaisir éphémère, dégoûtant. Oubli de cette première bouchée chargée de promesse. Jusqu’à la prochaine fois.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *