Les messagères intergalactiques

 Le cours d’histoire est terminé. L’enseignant salue sa classe avant d’éteindre son appareil à émission holographique, quittant d’un seul coup le domicile de ses élèves. Irina fait disparaître les livres virtuels qui encombrent son bureau. Elle aime bien l’histoire, imaginer la vie d’avant, celle de ses grands-parents, avant le Virus.

Il est quatre heures de l’après-midi. L’adolescente n’a pas envie de faire ses devoirs. De toute façon, sa tante rentre tard ce soir. Elle a tout loisir de faire ce qu’elle veut en l’attendant. Irina hésite à se rendre chez son amie Samantha, puis y renonce. Elle se sent un peu fatiguée et songe qu’une dose de pâte vitaminée ne lui ferait pas de mal.

C’est quand elle place son verre sous le robinet à vitamine qu’elle les aperçoit à travers la fenêtre. Ce ne sont que trois points noirs encore lointains. Rien ne dit qu’ils viennent pour elle. Pourtant, son cœur se met à battre à tout rompre. Elle s’affole, repense à ses parents. Elle était encore toute petite. Comme un flash. Trois points noirs similaires, lointains, l’air de rien. Puis le drame. L’arrachement. Les oisbots étaient arrivés, ils avaient fracassé la fenêtre et avaient emporté ses parents dans leurs serres de métal. Puis, le vide, le trou noir dans son esprit, couleur d’un désespoir sans fin. Sa tante l’avait recueillie.

Elle tremble, lâche le verre par terre, ne prend pas la peine de fermer le robinet. Sa fatigue… c’était donc ça. Elle n’a que quelques instants pour fuir. Fuir à tout prix, pour ne pas terminer sa vie dans le Cube, comme ses parents. Et subir une agonie lente et douloureuse réservée à ceux qui, comme eux – comme elle – ne font pas partie de la caste des dirigeants et des nantis les plus riches. Eux, ils ont accès aux médicaments et aux vaccins. Ils peuvent survivre au Virus. Pas les autres.

Ses parents lui avaient raconté l’apparition du Virus quand ils étaient tout jeunes et l’incapacité des autorités à le maîtriser, le manque de ressources pour soigner tout le monde et fabriquer des vaccins pour tous. Ils lui avaient raconté qu’avant, les gens ne portaient pas de masque, quand ils se rencontraient. Il leur arrivait même de se prendre dans les bras, de s’embrasser. Cela lui semble étrange.

Irina chasse ses pensées de sa tête, qui la paralysent. Les points noirs se sont rapprochés. Elle peut distinguer leurs formes d’oiseaux, avec leurs grands becs et leurs serres disproportionnées et terrifiantes.

Irina se précipite vers le sas de téléportation, à l’entrée de l’appartement, mais elle a de la peine à se décider sur sa destination. Chez son amie ? Non, trop risqué. Pour toutes les deux. La Lisière de la forêt, en bordure de la Ville ? Avec un peu de chance, elle réussira à rejoindre la Clairière à pied, sans qu’ils la rattrapent. Car aucune porte ne donne sur ce lieu qu’elle aime particulièrement, là où campent une troupe de bohémiens intergalactiques, durant l’été. Elle a fait leur connaissance quatre ans auparavant, et elle s’est liée d’amitié avec eux. Pourvu qu’ils soient déjà arrivés. Ils la protégeraient et la cacheraient. Seulement, elle n’est pas sûre qu’ils soient déjà revenus, l’été n’ayant pas encore tout à fait débuté.

Fébrile, Irina tape le code du sas de la Lisière, mais ses mains tremblent et elle doit s’y reprendre à plusieurs fois. Elle entend la fenêtre se fracasser sous les coups de becs des oisbots. Ils fouillent les pièces, s’approchent du sas. Au moment, où ils l’aperçoivent, elle réussit à se téléporter à la Lisière.

Elle sort de la cabine de téléportation. A la Lisière il n’y a pas foule. Elle se presse vers la forêt. Elle court, court à travers les arbres. Les robots oiseaux ont certainement déjà retrouvé sa destination. Elle court sans s’arrêter, sans se retourner. Très vite, elle est essoufflée. Les premiers signes de la maladie ou juste son manque d’entrainement ? Elle ralentit sa course. Elle y est presque. Plus que 300 mètres. Les oisbots sont entrés dans la forêt. Irina entend déjà leur grésillement. Plus que 200 mètres. Ils se rapprochent. Plus que 100 mètres. Pourvu que les bohémiens soient là, sinon… Enfin, la Clairière. Mais il n’y a personne.

Désespérée, Irina la traverse en courant, cherche un buisson où se dissimuler et s’accroupit. Les oisbots apparaissent de l’autre côté de l’étendue herbeuse. Ils s’arrêtent un instant, puis la repèrent, à cause de la puce, implantée dans son corps au moment de sa naissance, et qui leur envoie sa position une fois par minute. C’est d’ailleurs à cause de cette fameuse puce, qu’ils ont découvert qu’elle était malade.

Elle sait qu’elle n’a plus aucune chance. Elle regarde encore dans le ciel, en espérant voir arriver ses amis. Celui-ci est désespérément vide. Elle respire une dernière fois l’air de la forêt. Elle ferme les yeux. Respire lentement. Les oisbots sont là. Devant elle. Leur moteur grésille. Elle préfère ne pas les voir. Ne pas avoir à les affronter visuellement. Elle attend qu’ils s’emparent d’elle. Elle attend… mais rien ne se passe. Pourtant, elle les entend toujours grésiller. Elle hésite encore, avant de se confronter à la réalité. Et comme il ne se passe toujours rien, lentement, très lentement, elle ouvre les yeux.

Tout d’abord, elle ne comprend pas ce qu’elle voit. Les oisbots flottent au-dessus du sol à moins d’un mètre d’elle, et ne bougent pas. Et soudain, elle les aperçoit, juste au-dessus d’eux. De gigantesques lucioles avec leurs lassos de lumière qui tiennent en respect les oiseaux métalliques. Irina se lève d’un coup, soulagée. Ses amis bohémiens lui ont envoyé ces messagères pour la protéger, en attendant qu’ils arrivent. Ils ont perçu son désarroi, grâce à leurs capteurs extrasensoriels.

Irina lève les yeux et aperçoit, au loin, le point lumineux de leur caravane intergalactique en approche. Désormais, elle ne craint plus rien, et se met même à croire qu’elle survivra au Virus.

 

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