La Cité des nuages

— Pourquoi tu es triste ?
Vincent sursaute. Il lève la tête et découvre avec étonnement une fillette d’environ 12 ans — comme lui — qui le regarde de ses grands yeux bleu foncé. Comme l’orage, pense-t-il. Il ne l’avait pas entendu venir. Elle porte dans ses bras un drôle d’animal, qui a la tête d’un rat, mais le pelage et la queue d’un écureuil.
— Pourquoi tu es triste ?
Vincent se sent honteux. Quand il est arrivé chez sa grand-mère un quart d’heure plus tôt, il a filé au fond du jardin, sans lui dire bonjour. Ses parents partent trois jours à Paris. Sans lui.
— C’est quoi ta peluche ? demande le garçon.
— Un ratureuil. Il s’appelle Petit Soleil. Tiens, je te le donne. Comme ça, tu seras moins triste.

La fillette le pose dans les bras de Vincent qui pousse un cri, quand il réalise que la « peluche » est vivante. Il veut le rendre à sa maîtresse, mais elle a disparu. Déstabilisé, Vincent retourne à l’intérieur de la maison pour cacher le ratureuil dans sa valise, glissée sous le lit.

— Mami Olga ne doit pas te voir. Je te rapporterai de quoi manger, plus tard.

Le ratureuil fixe Vincent de ses grands yeux attentifs. Comme s’il comprenait. Puis le garçon dîne avec sa grand-mère, dont il doit subir les questions. Ce qu’il fait à l’école, ses matières préférées, s’il a une bonne amie…

A la fin du repas, Vincent prend une pomme et un bol d’eau pour Petit Soleil, à l’insu d’Olga.

— Tiens, j’espère que ça t’ira.

Le ratureuil sort de la valise, saisit la pomme entre ses pattes de devant pour la manger. Une fois rassasié, il s’installe sur le lit du garçon pour dormir. Vincent le caresse, puis se couche, avec la tête remplie d’interrogations.

Au milieu de la nuit, il est réveillé par des chuchotements.

— J’ai fouillé partout. Il a dû le jeter.

— Tu lui as demandé ?

— Non, il n’a pas l’air de se souvenir.

L’adolescent entrouvre les yeux, et aperçoit Petit Soleil en train de converser avec la fillette. Il s’assied sur son lit, stupéfait. L’animal et sa maîtresse se taisent. Comme il reste figé, la fillette lui dit :

— Je m’appelle Amandine.

Son regard sérieux, ce prénom… Le jeune homme sent soudain des lambeaux de souvenirs s’agiter en lui. Puis tout lui revient brusquement. Il avait 4 ou 5 ans. Les enfants du peuple des nuages avec qui ils jouaient, quand il venait chez sa grand-mère. Le jour où Amandine est apparue la première fois devant lui dans le jardin, comme aujourd’hui, et ses multiples cousins et cousines. Leurs jeux dans la forêt. Il se rappelle enfin, du cadeau d’Amandine. Il n’en avait parlé à aucun adulte. Vincent se précipite dans un coin de la pièce, soulève une latte de plancher et en sort une petite roche translucide.

— Ce n’est pas ça que vous cherchez ?

— Oui, réplique Amandine, en souriant. Garde-la sur toi. Allons-y, maintenant.

— Où ça ?

— Dans la cité des nuages. On a besoin d’un enfant de la Terre, pour plaider la cause des humains. Les Maîtres des éléments ont décidé de les éliminer, car ils ne prennent pas assez soin d’elle.

— Pourquoi moi ?

— Tu es le seul enfant que je connaisse.

Vincent est un peu déçu. Il espérait s’entendre dire qu’il était l’élu. Comme dans ses jeux vidéo.

— Comment je vais aller là-haut ?

À ces mots, le ratureuil se met à lécher son pelage avec application. Au fur et à mesure de ses coups de langue, il grandit, grandit à tel point qu’il prend la taille d’un grand aigle. Amandine bondit sur son dos, suivi par Vincent, un peu hésitant. Petit Soleil prend son envol et en moins d’un quart d’heure, ils atteignent les portes de la Cité des nuages qui s’ouvrent devant eux. Amandine entraîne Vincent à travers les couloirs de ouate blanche. La fillette a l’air de savoir où elle va et le garçon se demande comment elle fait pour se repérer. Très vite, ils entendent un brouhaha indescriptible qui surgit d’une des salles attenantes au couloir. Une sorte de hublot, placé dans la paroi, leur permet de voir ce qui se passe à l’intérieur.

— C’est la salle du Conseil, chuchote la jeune fille.

De vieux personnages sont assis autour d’une table. Ils portent tous un chapeau différent, représentant l’élément, dont ils sont maîtres. Des tempêtes miniatures de grêles, de neige et de pluie font rage dans la pièce.

— Il faut que tu ailles leur parler.

Vincent se met à rire nerveusement, mais ne bouge pas.

Les discussions entre les maîtres des nuages se font de plus en plus vives.

— Vas-y, supplie Amandine, les yeux remplis de larmes.

Désemparé, le garçon regarde autour de lui, essaie d’imaginer ce que feraient les personnages qu’il incarne dans ses jeux vidéo. Mais rien ne vient.

Brusquement, le bruit cesse. Les Maîtres quittent la salle. Leur décision est sans appel. La Terre va disparaitre. Amandine regarde Vincent avec tristesse. Le garçon a la gorge serrée. Il n’est pas celui qu’elle croit. Machinalement, il joue avec le caillou qu’il a dans sa poche.

— Je ne suis pas un héros.

— Peut-être que tu en es un, mais que tu ne le sais pas, rétorque Amandine. Tu as en toi et avec toi la force de changer le cours des choses.

Les Maîtres parviennent aux portes de la cité et envoient sur la Terre le plus violent des ouragans que les humains aient jamais vécu.

Vincent regarde Amandine. Ses yeux couleur d’orage lui redonnent du courage. Il a tout ce qu’il faut en lui et avec lui.  Mu d’une impulsion subite, il enfourche Petit Soleil et vole en direction du cataclysme. Pour la première fois, il se fait confiance et il suit son intuition. Au moment où Petit Soleil et lui rejoignent le cœur des tempêtes, celles-ci ont déjà touché la Terre. Secoués dans tous les sens par les vents violents, ils tiennent bon. La main de Vincent s’enfonce dans sa poche pour toucher le caillou. Puis soudain, sans savoir pourquoi, il le brandit au-dessus de sa tête comme un étendard.

La petite roche translucide se met à briller si fort que l’obscurité disparait. Elle absorbe les tempêtes et laisse place à un ciel bleu. Du haut de son nuage, Amandine sourit, tandis que Vincent se met à rire, toujours à califourchon sur le ratureuil.

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