Hiver meurtrier

Je l’ai tuée. Je ne pouvais pas la laisser me faire ça.

Quand j’ai reçu l’appel de Saturnin il y a quelques jours, j’ai été surpris. Ça faisait un bail. Saturnin, c’est mon contact à la police et c’est aussi mon pote. Moi, je suis journaliste à la rubrique locale de mon canard. Un fait divers marrant pour moi qu’il m’a dit. Enfin, marrant… Pas tellement. Deux vieilles qui ont été retrouvées mortes par le mari d’une des deux. J’avais pas trop envie de sortir. Il y avait un vent à décorner les bœufs et ça caillait. Mais ça faisait un moment que je n’avais pas trouvé de sujet original. Alors, j’ai sauté dans ma voiture.  C’était à 10 kilomètres de la rédaction. Dans une ferme un peu paumée.

Sur place, il y avait trois flics, dont mon pote qui est le chef. Le toubib était déjà parti.

Pour lui, tout était clair. La première femme, Raymonde, morte de plusieurs piqûres d’abeille. Elle était allergique. J’ai trouvé bizarre de se faire piquer par des abeilles en plein hiver. La deuxième, Agathe, crise cardiaque, quand elle a vu sa copine mourir. Les deux corps avaient été déjà évacués. Dans le salon, il y avait, debout dans un coin, le mari et le fils d’Agathe, Au pied du divan, un chien qui gémissait. Sur la table, une théière, deux tasses, des biscuits et des dattes. Saturnin s’approcha de moi.

— Qu’est-ce que tu en penses, Victor ?

— Qu’il faudrait faire soigner ce chien. Il a pas l’air bien.

— Votre clebs, c’est normal qu’il soit comme ça ? a demandé Saturnin au mari.

Philippe Tardi, le visage fermé, s’est approché puis agenouillé près du chien.

—Il a dû manger un truc qui passe pas.

C’est sa réflexion qui m’a mis la puce à l’oreille. Et si ce qui avait l’air d’un malheureux concours de circonstances n’en était pas un ? Quand un des agents a voulu boulotter un biscuit, mon pote l’en a empêché. Apparemment, il pensait comme moi.

Pour le cabot, c’était trop tard. Il a fini comme Agathe.

On s’est regardés, Saturnin et moi. Tout devenait soudain suspect. De coïncidences surprenantes, on passait à soupçon d’homicide. Et de veuf éploré, le mari devenait suspect. Le fils aussi.

— Il faudrait faire analyser ce qu’il y a sur la table, qu’il a dit à ses agents.

Évidemment, Saturnin a commencé par interroger le mari et le fils. Histoire de voir ce qu’ils avaient dans le ventre. Les questions habituelles, quoi. Philippe Tardi laissait entendre qu’il avait une vie de rêve à la campagne avec son fils Léonard. Il était viticulteur. A la ferme, il n’y avait qu’une employée de maison. Le fils vivait là. Il était apiculteur et possédait une dizaine de ruches. Quand Saturnin lui a demandé pour les abeilles, il a dit qu’elles ne quittaient pas les ruches. Trop froid.

— Et comment ça se fait que, comment elle s’appelle déjà, l’autre femme… ?

— Raymonde ?

— Oui, c’est ça. Comment ça se fait qu’elle se soit fait piquer ?

— Je ne sais pas.

Raymonde était une amie d’Agathe. Elle l’avait rencontrée, quand elles étaient étudiantes. Puis elles s’étaient perdues de vue. La première avait terminé ses études et avait fait carrière. La seconde s’était mariée et était restée femme au foyer. Elles se sont retrouvées un an auparavant, par hasard.

Je les ai observés, le père et le fils, pendant l’interrogatoire. Ils avaient l’air mal à l’aise. Ils cachaient quelque chose. Leur vie idéale ne l’était peut-être pas tant que ça. Quand on a interrogé l’employée de maison, on en a eu la confirmation.

— Madame et Monsieur ont toujours été bien avec moi. De temps en temps, ils se disputaient. Comme tout le monde. Et le fils? Toujours poli.

— Ces derniers temps, vous n’avez rien remarqué de différent ? a demandé Saturnin.

— Je sais pas… Un jour, Madame a donné une gifle à Monsieur. C’était la première fois.

— Vous savez pourquoi ils se disputaient ?

— Non, j’écoute pas.

J’ai trouvé le moyen de la tuer, sans me faire prendre.

On a attendu deux jours pour l’analyse du goûter. C’était les dattes qui étaient empoisonnées. Évidemment, on en a déduit que le mari était coupable. Saturnin est retourné l’interroger. Tardi a admis les disputes, mais il a juré – croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer – qu’il l’avait pas tuée. Il a dit qu’elle était jalouse, parce qu’il discutait avec sa copine, Raymonde.

— Vous étiez amants ? a demandé mon pote.

Il n’a rien répondu. Mais c’était clair. Il avait l’occasion et le mobile. Sa femme avait tout deviné et lui, il voulait changer d’air. Pas de bol, sa maîtresse meurt, piquée par une abeille. Il n’a pas pu profiter de son crime. Fin de l’histoire. Saturnin l’a embarqué. Il l’a encore cuisiné quelques jours, mais le bougre n’a rien avoué.

J’ai quand-même commencé à écrire mon article. Sans conviction. J’étais encore loin de l’avoir terminé quand Saturnin m’a appelé.

— C’est pas lui qui l’a tuée.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Les dattes. Elles ne viennent pas d’un super-marché standard, mais d’un petit magasin bio en ville. Et, il n’y est jamais allé. C’est la propriétaire qui m’a dit. Elle connait tous ses clients. Par contre, quand je lui ai montré la photo de Raymonde, elle l’a tout de suite reconnue. C’était une cliente régulière.

— Ce serait elle la coupable ?

— Peut-être. Mais on n’en sait rien. Probable qu’elle a toujours été amoureuse de lui. On a fouillé son appartement et on a rien trouvé. Aucune preuve.

— Après tout c’est pas important. De toute manière, Raymonde ne sera jamais jugée… »

Elle m’a dit qu’elle était allergique aux piqûres abeilles. C’était simple. Il m’a suffi d’en transporter quelques-unes à l’intérieur. Elles ont fait le travail. Je ne pouvais pas prévoir que Raymonde avait eu la même idée que moi. Elle a choisi le poison. Pas très subtil. C’est elle qui a laissé tomber Philippe il y a 45 ans. Je me demande bien pourquoi, si c’était pour me le reprendre. Elle ne pouvait pas m’en vouloir de l’avoir épousé. Au lieu de finir ma vie avec mon mari, je vais souffrir l’enfer éternel en compagnie de cette voleuse d’homme.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *