Coussin et coussinets

Il y a longtemps, quelque part au fond du néant, Dieu rêvassait, couché sur le coussin que sa femme lui avait façonné. Déesse, son épouse, était somptueuse. Il l’adorait, mais elle l’agaçait prodigieusement. Elle était hyperactive, il préférait paresser. Elle passait son temps à modifier leur lieu d’éternité, il n’aimait pas le changement. Elle imaginait sans cesse de nouveaux objets, il détestait la nouveauté. Il n’aurait rien trouvé à redire, si au moins, elle le laissait tranquille. Mais elle le bousculait perpétuellement.

Un jour, exaspéré par son énergie bouillonnante, il sortit de son flegme légendaire. Il hurla contre Déesse, qui, surprise par un tel débordement, courut s’enfermer dans l’atelier qu’elle s’était créé. La rage de Dieu fut telle qu’elle fit exploser le néant en un nombre infini de parcelles de matière. C’est ainsi qu’il créa les étoiles et les planètes. Malgré lui. Sans y penser. Épuisé par cet accès de colère, il retourna s’étendre sur sa couche. Toutes ces étoiles lumineuses au milieu de la nuit et la terre blanche, toute proche, au cœur de l’obscurité sidérale, l’invitaient à la rêverie.

Déesse n’était pas ressortie de son atelier depuis le big-bang marital impromptu. Au début, il ne s’en inquiéta pas, trop heureux d’avoir gagné un peu de paix. Elle boudait sûrement. Elle n’avait pas apprécié qu’il se fâchât contre elle. Pas grave. De toute façon, il était bien plus tranquille sans elle.

Le temps passa. Déesse ne réapparaissait pas. Il commença à bouillir intérieurement. Elle exagérait. Mais, comme il avait peur des conséquences d’une nouvelle colère, il se maîtrisa. Les jours, les semaines s’écoulèrent. Toujours aucun signe de son épouse. Elle lui manquait. Il regrettait son hyperactivité et n’avait plus autant de plaisir à paresser, sans elle à ses côtés. Sa fierté, pourtant, lui interdisait de faire le premier pas. Combien d’objets inutiles avait-elle encore pu créer ?

Incapable de rester tranquille pour la première fois de son éternité, Dieu marchait de long en large devant la grande baie vitrée qui donnait sur la Terre, voisine. De temps en temps, il y jetait un coup d’œil. Elle était blanche. Trop. Son regard tomba sur les bols de couleurs que sa femme avait inventés un jour. Et s’il lui mettait un peu de couleur, à la Terre ? Déesse serait contente qu’il utilisât son invention et lui pardonnerait sa colère. Il prit des pots de bleu et les jeta dans sa direction.  La teinte océane s’étala de façon non uniforme autour du globe. C’était bien plus joli. Oubliant d’un seul coup son orgueil, il alla gratter à la porte de l’atelier. Il fallait absolument que Déesse voie ça !

  • Ouvre vite. Viens voir ma création.

Déesse exigea des excuses, avant de se décider à venir contempler son œuvre.

  • Elle est très bleue, ta Terre… Un peu trop…

Déçu, Dieu se remit à l’ouvrage. Quelques pots de peinture plus tard, il se précipita vers l’atelier de sa femme.

  • Viens voir ! C’est beaucoup plus joli maintenant !

Déesse, bien que légèrement agacée, sortit de son atelier, considéra la Terre un instant.

  • Alors, qu’est-ce que tu en penses ? J’ai rajouté du brun, du vert, du jaune et même du rouge.
  • C’est bien. Mais cela manque de vie.
  • De vie ?

Perplexe, Dieu retourna se coucher sur son coussin pour réfléchir. Dieu était vie, Déesse était vie. Comment pourrait-il rendre vivante sa peinture ? L’idée était séduisante. Pendant des jours, il chercha l’inspiration tout en fixant le globe terrestre de ses yeux félins. L’intensité de son regard réchauffa le cœur de la Terre. Sa surface devint humide, le bleu devint océan, le gris, rocher, le rouge, volcan, le vert et le brun, végétal. Dieu comprit alors ce qu’il manquait à sa Terre et se remit au travail. Il détacha des morceaux de boue de la surface terrestre et façonna de petites créatures. Sans réfléchir. Sans relâche. Lorsqu’il en eut suffisamment, il souffla sur les unes et les autres, et chacune se mit en mouvement, respirant le parfum de la vie. Elles seraient capables de proliférer, seules, et de s’adapter à leur environnement, sans qu’il ait à s’en occuper.

Très content de lui, Dieu retourna voir son âme sœur.

  • Cette fois-ci, tu vas être fière de moi.

Déesse ouvrit la porte qu’elle s’empressa de refermer derrière elle. Surpris de son attitude, Dieu ne lui fit néanmoins aucune réflexion, tant il était pressé de montrer son chef-d’œuvre à Déesse, qui, cette fois-ci, se montra impressionnée. La Terre de Dieu était belle.

  • Il y manque encore quelque chose, mais c’est moi qui vais m’en charger.

Dieu supplia de lui dire ce qu’elle voulait y rajouter, mais Déesse refusa de lui répondre.

Pendant des semaines, elle travailla dans son atelier. Et tous les jours, Dieu grattait à sa porte pour qu’elle le laissât entrer. Mais elle s’y refusait. Au début, Déesse lui répondait avec douceur, un sourire dans la voix, lui demandant de patienter. Au bout de quelques jours, elle renonça à lui parler. Il eut beau pleurnicher, gémir, grogner, menacer, elle restait inflexible. Il finit par croire qu’elle ne lui ouvrirait jamais. Avait-il seulement rêvé cette merveilleuse compagne hyperactive ?

Alors, quand un jour, la porte de l’atelier s’ouvrit devant lui, sans qu’il l’ait demandé, il en fut si surpris qu’il n’osa pas franchir le seuil. Déesse, plus belle que jamais, le regardait avec toute l’intensité de son regard émeraude.

  • Ferme les yeux.

Docile, Dieu obéit. Elle le poussa gentiment à l’intérieur de son atelier.

  • C’est bon, tu peux les ouvrir.

Lentement, il entrouvrit les paupières et quand il découvrit l’œuvre de sa femme, des larmes se mirent à couler de ses yeux pour la première fois de son éternité. Elle avait façonné son portrait. Était-il donc si beau ?

  • Il manquait à ta Terre un être qui soit à ton image.

Dieu saisit la créature entre ces mains et lui insuffla la vie.

  • Tu auras sept vies, ainsi que tous tes descendants, murmura Dieu.

Et comme il voulait avoir le dernier mot, il créa l’être humain pour servir le chat.

Satisfait, il retourna se coucher sur son coussin.

Consigne

Cette consigne avait pour objectif de varier les tournures de phrases, leur rythme, leur longueur et les formes de l’énonciation, de manière à viser des émotions différentes, en utilisant des procédés littéraires variés.

Il s’agissait donc de ré-écrire et réinventer à sa façon un extrait d’un des Contes glacés de Sternberg, intitulé « Les exclaves ». C’est la conclusion que j’ai gardée, à savoir que l’être humain avait été créé pour servir le chat.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *